Les quarante jours
de Carême, dans lesquels nous entrons aujourd’hui, évoquent évidemment à notre
mémoire le temps passé par Jésus au désert. Ce temps de quarante jours et de quarante
nuits évoque lui-même les quarante années passées par le peuple à travers le
désert en chemin vers la Terre promise. La similitude des chiffres ne doit pas
nous faire oublier la différence profonde entre ces trois temps dont l’Ecriture
garde la mémoire. Les quarante ans de la traversée au désert sont un temps
de purification destiné à faire surgir à nouveau la foi du peuple d’Israël. La
génération, libérée de l’oppression en Egypte, a douté de Dieu. Il ne lui sera
pas donnée de voir la Terre promise. Ce n’est que la génération suivante qui le
pourra, après avoir fait l’expérience au désert que Dieu était sa seule
espérance et sa seule source de vie. Tel n’était évidemment pas le sens de
l’épreuve vécue par le Christ, quand, après son baptême, il est conduit au
désert pour y être tenté. Il ne s’agit pas pour lui d’un temps de purification
mais plutôt, au sens propre, d’un temps d’épreuve. C’est aussi l’occasion pour
le Christ d’exprimer, en se référant à la Parole de Dieu, l’exclusivité de la
foi en Dieu.
Pour nous les
quarante jours dans lesquels nous sommes engagés maintenant tiennent
simultanément des deux périodes que je viens d’évoquer. Ils sont un temps de
purification et ils sont un temps d’épreuve.
Un temps de
purification d’abord, pendant lequel nous sommes invités à nous reconnaître
pécheurs. Le geste que nous allons faire tout à l’heure de recevoir sur notre
tête un peu de cendre rappelle avec évidence les gestes pénitentiels de la
Bible. Venir recevoir ces cendres, c’est équivalemment se déclarer pécheur. On
pourrait dire que c’est une manière de s’inscrire dans la troupe des pécheurs. En
sortant de l’église tout à l’heure avec cette marque sur notre front, nous
dirons que nous en sommes. Oui, ce soir, nous sommes entrés en Carême, nous
nous sommes reconnu pécheurs et cela se voit. Nous ne sommes pas pécheurs
simplement parce que nous avons accumulé des fautes, ce qui est évidemment le
cas, mais nous sommes pécheurs d’abord parce que notre cœur s’est détourné de
Dieu. C’est à cause de cela que nous nous sommes laissé séduire par le péché.
Nous avons cru qu’il pouvait y avoir plus beau que la vie avec Dieu. Il s’agit
donc maintenant de nous laisser à nouveau attirer et séduire (beaucoup
aujourd’hui se souviennent plus de la saint-Valentin que de l’entrée en
Carême !), telle une biche par les phares d’une voiture en pleine nuit… Chaque
année, donc, le temps du carême est le temps où nous faisons retour sur
nous-mêmes, non pas dans une attitude narcissique ou un geste
d’autosatisfaction, mais dans la lumière de la miséricorde de Dieu. On dit
souvent que notre société a perdu le sens du péché. S’il y a une perte du sens
du péché, c’est qu’il y a une perte de la foi. Il ne sert à rien d’exhorter les
gens à se reconnaître pécheurs si d’abord on ne leur annonce pas la bonne
nouvelle du salut dans la certitude qu’ils sont déjà dans le Ressuscité.
Voici la deuxième
dimension de notre temps de carême. Il est aussi un temps d’épreuve pour la
foi. Si nous sommes invités au jeûne et à la prière, ce n’est pas pour nous
punir ni non plus pour donner un signe extraordinaire devant lequel tout le
monde aurait à s’émerveiller. Nous ne sommes pas dans un ramadan chrétien ! Si
nous jeûnons et si nous prions, c’est parce que le jeûne, comme la prière, est
un acte de foi. Ce n’est pas nous qui changeons nos cœurs c’est lui qui les
change. C’est lui qui arrache notre cœur de pierre et qui le remplace par un cœur
de chair. Ce travail intérieur ne se fait pas sans quelques souffrances car
nous avons nos habitudes et nos attraits pour les choses qui nous font le plus
de mal. Laisser grandir en nous l’homme intérieur oblige à faire taire beaucoup
des voix qui nous habitent. Renoncer à beaucoup des choses qui nous occupent,
c’est cela notre jeûne. Ce travail intérieur n’est pas l’objet d’un spectacle,
il est tout entier engagé dans le secret de la relation personnelle avec Dieu
comme nous le rappelait à l’instant l’évangile selon saint Matthieu.
Ainsi entrons dans
ce temps de carême, non pas dans la tristesse et le désespoir, mais dans la
joie confiante de la résurrection vers laquelle nous nous avançons.
Michel
Steinmetz †
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire