Selon les
prescriptions de la Loi de Moïse, que nous avons entendues dans le Livre du
Lévitique, le lépreux devait se tenir à l’écart de tous. Ceci ne visait pas
d’abord à éviter la contagion, comme nous le penserions aujourd’hui. Cette mise
à l’écart permettait surtout d’éviter au peuple de contracter une impureté
rituelle. Car ceux qui avaient été en contact avec les lépreux devenaient
inaptes à participer à la vie et à la prière du peuple de Dieu.
En purifiant le
lépreux, Jésus va donc d’abord dépasser cette séparation entre ceux qui sont
impurs et ceux qui sont purs. Il touche le lépreux, et ce faisant, il lui donne
de réintégrer le Peuple Saint. Il vient « rassembler les enfants de Dieu
dispersés » (Jn 11, 52). Dans ce geste, Jésus se fait proche de celui que tous
repoussaient. Dans notre tradition culturelle, nous avons également connu cette
crainte du lépreux et cet interdit qui les frappait, sans avoir aucun lien à la
loi juive. Au Moyen-Age, à Strasbourg, comme dans d’autres villes, les lépreux
étaient condamnés à vivre reclus en dehors des murs de la cité. De grandes
figures de saints comme François d’Assise ou Ignace de Loyola ont su vaincre
cette sorte de crainte ancestrale à l’égard de ceux dont l’apparence peut être
repoussante, parce qu’ils sont complètements autres et différents.
Mais en purifiant le
lépreux, Jésus ne guérit pas seulement cette apparence. Il vient toucher en
profondeur la culpabilité enracinée dans l’inconscient de l’humanité, et dont
la maladie visible semble toujours être la manifestation extérieure. Le lien
entre la maladie et le péché n’appartient pas seulement aux mentalités
archaïques ou dépassées par notre savoir moderne et nos connaissances
médicales. Beaucoup voient dans les maladies une sorte de punition, ou du moins
la manifestation de la noirceur intérieure de ceux qui en sont affligés. Ainsi,
devant un mal imprévu ou un accident soudain, nous pouvons entendre (ou penser)
: « Pourtant, il n’avait rien fait de mal ! ». Cette réflexion laisse supposer
que, si cette personne avait fait quelque chose de mal, la maladie, l’accident
ou la mort auraient été justifiés. Ce lien était profondément ancré dans la
culture juive. Ainsi, dans l’évangile de saint Jean, quand Jésus rencontre
l’aveugle-né, ses disciples lui demandent : « Seigneur, qui a péché ? Lui ou
ses parents ? » (Jn 9, 2).
Voilà pourquoi, en
purifiant le lépreux, Jésus n’opère pas simplement une guérison, mais pose un
geste qui annonce une libération plus profonde. S’il peut guérir la lèpre
visible, pourquoi ne serait-il pas capable de guérir les lèpres invisibles qui
affligent l’âme humaine ? Dans la guérison du paralytique qui suit ce passage
dans l’évangile de saint Marc, Jésus confirme cette dimension de sa personne et
de sa mission : il n’est pas simplement un thaumaturge et un grand rabbin, mais
celui qui peut délivrer l’homme du péché. Pour nous, comment trouvons-nous
notre place dans cette scène de la rencontre du lépreux avec Jésus ? Nous
pouvons nous représenter prosternés aux pieds du Christ et le suppliant : «
Seigneur si tu le veux, tu peux me purifier » (Mc 1, 40), de mes maux, mais
surtout de ceux qui noircissent et enlaidissent mon âme, me font douter de ton amour
et de ma propre capacité à aimer et à faire le bien. La venue du Christ ne touche pas simplement
nos imperfections trop perceptibles de la vie quotidienne. Elle vient guérir
les péchés qui touchent notre âme et que personne ne voit.
A
la veille d’entrer dans le temps du carême, nous pouvons faire retour sur nous-mêmes
et prendre conscience de ce qui nous afflige. Demandons aussi au Seigneur que
cette expérience de la purification, du pardon et de la réintégration soit un
signe pour le monde. Nous appartenons à une communauté. Nous en sommes les
membres et ne vivons pas comme si nous étions perdus et isolés à travers
l’immensité de l’univers sans aucun point d’appui, sans aucun lien, sans aucune
chance d’entrer en contact avec quiconque. Par le Christ, nous sommes intégrés
dans l’Église, le peuple des chrétiens, la fraternité des baptisés, ceux qui
vivent selon la belle vie de l’Evangile.
AMEN.
Michel Steinmetz †
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