On est ému devant Dieu en
tout petit. L’émotion, pour combien de temps, huit jours ? Cette émotion est
peut-être même déjà en train de passer. Vous êtes bien moins nombreux ce matin
qu’hier soir… comme tous les ans. On a l’impression que le réveillon et les
cadeaux attirent encore un peu à Dieu. Et puis après, on va passer à autre
chose. Les textes de la liturgie eux-mêmes, bien solennels comme le prologue de
l’évangile de Jean, font, ce matin, peu de place à l’émotion. Pas d’attendrissement
inopportun mais le dessein de Dieu qui, depuis nos pères et les prophètes, se
déroule jusqu’à ce jour formidable où Dieu descend dans l’arène et vient planter
sa tente au milieu de nous. « Et le Verbe s’est fait chair, il a habité
parmi nous et nous avons vu sa gloire, la gloire qu’il tient de son Père comme
Fils unique, plein de grâce et de vérité ». Nous allons nous empresser de
réinstaller Dieu sur son trône de gloire et de surveillance. Dieu moraliste,
Dieu juge, gendarme, Divin radar, et même Père fouettard, qui pourtant, cruelle contradiction, laisse
les hommes se débattre avec leurs guerres, leurs cancers, leurs pertes
d’emploi, leurs crises, et leurs escrocs. Face à ce Dieu de gloire et de
crainte, qu’on a modelé dans la conscience des humains, la profondeur du ciel
et le noir de la mort, vraiment, le petit Jésus ne fait pas le poids ! On veut,
pour tous les jours, un Dieu sérieux, pas un « fils de l’Homme ».
La question nous vient :
cela valait-il le coup que le Fils vienne sur terre ? Si ce n’était que pour
nous enseigner une morale de comportement, on n’en avait pas besoin. On avait,
depuis Moïse, les « commandements de Dieu ». Un bon prophète aurait suffi.
Ou bien un ange, le ciel en est plein. Il n’existe aucune autre religion où Dieu
se déplace en « personne » chez les hommes pour se faire l’un d’eux, au point d’en connaître toutes les conditions,
y compris celle de la mort. C’est ça, Noël, et les théologiens, qui n’ont
jamais eu peur des mots, ont appelé
Incarnation, « dans la chair », ce
mystère qui fait date dans l’histoire des innombrables religions. Ce mystère,
Bonne Nouvelle, est le cœur du christianisme, sa spécificité, son originalité, au
point qu’il est plus qu’une religion : il est essentiellement une foi en
Dieu fait homme, donc aussi une foi en l’humanité, puisque Dieu, après ça, en
fait partie. Dieu s’humanise et l’homme s’en trouve divinisé. C’est dur à
croire quand on regarde le 20 heures ! Pourtant, si on n’a pas compris cette
bonne nouvelle Noël, on peut « avoir de
la religion » comme on dit, avec même
beaucoup de dévotions et de pratiques, mais ce sera toujours une religion
pré-chrétienne, celle d’avant la Nativité.
Dans l’ « admirable
échange » qui s’opère aujourd’hui (Dieu se fait homme pour que nous
devenions semblables à Lui), dans cette rencontre, il y un combat, ou tout du
moins une résistance. L’évangile en témoigne : « Le Verbe était la
vraie Lumière, qui éclaire tout homme en venant dans le monde. Il était dans le
monde, et le monde était venu par lui à l’existence, mais le monde ne l’a pas
reconnu. Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu. » C’est
donc que Dieu ne s’impose pas, mais qu’il demande à être reçu. Aujourd’hui comme
hier, la lumière de Noël est fragile. Elle est trésor mis au milieu de nous. L’étoufferons-nous ?
La rendrons-nous vacillante ? Ou, au contraire, ferons-nous en sorte qu’elle
brille pour que les ténèbres n’aient pas raison d’elle ? Et comment y
arriverons-nous ? Sans doute en faisant de cet Enfant un éternel vivant.
Pas un objet de connaissance ou de culture. En lui permettant de prendre chair
en nous et dans le monde. Cela signifie que Jésus, le Fils de Dieu, est une
personne, non une idée ; un ami fidèle, non un juge implacable ; le
Seigneur de nos vies qui nous fait aller de l’avant, non celui qui se tiendrait
loin de nos préoccupations. Pour que Dieu puisse ainsi s’incarner, associez-la
à ce que vous êtes, à ce que vous faites, à ce que vous souhaitez devenir. Vous
vous sentirez plus divins.
Demain, Noël sera hier, la
crèche de l’église et celle de nos salons seront démontées. Restera la présence
de Dieu Homme. Jésus va grandir, il va se perdre dans la foule. La foi est de
le découvrir, de le rencontrer. Pas encore au ciel, non, mais partout où Dieu
nous donne de vivre, de grandir, d’évoluer.
AMEN.
Michel
Steinmetz †
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