Noël nous émeut. Toujours. Grands et petits. C’est pour nous un moment
hors du temps, un temps béni où l’amour, la fraternité, la paix semblent
pouvoir régner entre nous. Tel un éphémère instant de répit dans le tourbillon de
l’absurde et du cynique du monde. Alors nous nous plaisons, voire même nous
nous complaisons. Les illuminations dans nos rues, les décors de nos maisons,
les effluves de (mauvais) vin chaud à l’étal des marchés de Noël, le goût des bredele, tout cela concourt à nous
immerger dans ce doux rêve. Et il y a finalement bien plus encore : c’est
le scintillement dans les yeux émerveillés des enfants, par-delà le vagissement
d’un autre enfant, couché pauvrement dans une mangeoire. Quel contraste entre
ce que nous venons d’entendre proclamer dans l’évangile et ce que nous en avons
fait ! Noël se résumerait-il à ce que nous avons bien voulu en retenir par
paresse et orgueil ? Chers amis, qu’avons-nous fait de Noël ?
Vous vous direz qu’il est opportun pour moi en cette heure de vous
inviter à un examen de conscience et, pourtant, je m’y risque en vous réitérant
l’appel de Paul : « renoncez à l’impiété et aux convoitises du monde,
[…] vivez dans le temps présent de manière raisonnable ». Comment pouvons-nous
revenir au vrai Noël, à ce qu’il a paradoxalement de provocant et de violent ?
Car Noël vient mettre à mal nos bonnes consciences. Déjà, Noël, ce n’est pas
une fête dans le calendrier qui serait pour certains l’occasion de revendiquer
une identité chrétienne en exhibant des crèches à tout va, mais dans lesquelles
l’Enfant-Jésus serait réduit à un objet culturel, socle d’un patrimoine commun
aux gaulois de souche. Noël, ce n’est pas plus une occasion laïque de vivre une
solidarité quelque peu, et artificiellement, renforcée. Noël vient du latin natalis, qui signifie naissance. C’est
donc d’abord le souvenir d’un évènement. Lequel ? Celui dont saint Luc
faisait le récit. Pour mieux en saisir l’acuité, transposons-le en notre temps
et tentons d’imaginer comment il serait relaté aujourd’hui par les médias. De manière
prosaïque, que se passe-t-il ? Un couple, lui est plus âgé, elle sans
doute mineure, doivent se soumettre à une contrainte administrative d’un
recensement. La jeune fille va accoucher, mais son mari n’est pas le père
biologique. Arrivés à destination, ils n’ont pas les moyens de s’offrir une
chambre et sont installés de manière précaire dans un appentis sans aucun
confort. Elle accouche. L’enfant est déposé au mépris des règles élémentaires d’hygiène
dans une mangeoire, enveloppé dans des linges. Les suspects sont rejoints par
une troupe de SDF (c’est bien ainsi qu’étaient considérés les bergers à l’époque)
qui affirment avoir vu des anges. La mère déclare être enceinte par une
puissance divine. Quelques jours plus tard, des étrangers sans papiers – les mages
– viendront rendre visite au couple en portant sur eux de l’or – sans doute
volé – et d’autres produits considérés comme illicites. Vous en conviendrez :
il y aurait là de quoi alerter les services sociaux, ceux de l’immigration, etc…
Des mises en examens se profileraient, sans oublier les examens médicaux et
psychiatriques. Tout le monde crierait au scandale et la récupération
politicienne serait immédiate : certains s’esclafferaient que de faire du
feu dans une étable est source de pollution, d’autres vitupèreraient en
demandant des contrôles aux frontières, d’autres enfin se scandaliseraient devant
un capitalisme sauvage qui augmente les loyers et empêche les familles modestes
d’avoir un logement décent. Beaucoup verraient la bien-pensance de tout bord
voler en éclat. Peu, assurément très peu, croiraient au signe qui est donné. Et
nous ? Que ferions-nous ?
Oui, Noël nous provoque et vient nous déranger, aujourd’hui comme hier.
De grâce, ne nous voilons pas ce soir dans une culpabilité de mauvais aloi car,
oui, c’est jour de fête pour l’humanité qui accueille un Sauveur, manifestation
de ce qu’opère « l’amour jaloux du Seigneur de l’univers ». Pourtant
l’humble et pauvre signe de l’enfant emmailloté dans la mangeoire met à mal les
idées reçues. Il voudrait « nous purifier pour faire de nous un peuple
ardent à faire le bien ». Voilà pourquoi aussi nous n’en aurons jamais
fini avec Noël. Les fêtes seront passés mais le Fils de Dieu voudrait continuer
à prendre chair dans notre cœur. Serons-nous capables de le garder aussi
ouvert, compatissant, perméable et émerveillé qu’il ne l’est en cet instant ?
AMEN.
Michel
Steinmetz †
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