Si Dieu était un patron d’entreprise, il aurait
contre lui tous les syndicats du monde ! En effet, un patron qui donne le
même salaire à celui qui a travaillé huit heures et à celui qui a travaillé une
heure n’est pas juste. Cela, d’après notre propre logique et nos vues humaines,
nous paraît révoltant. Orgueilleux, sans doute aussi, car spontanément nous
nous plaçons du côté des ouvriers de la première heure. En sommes-nous si sûrs ?
Nous ne voyons pas que Dieu cherche à donner du travail à tout le monde, même à
ceux qui n’ont pas encore été engagés par d’autres patrons.
Pour bien comprendre la parole de Jésus, il ne
faut pas perdre de vue qu’il parle du Royaume de Dieu. En voulant mettre tout
le monde dans le coup, Dieu cherche à ce que personne ne soit tenu à l’écart de
son Royaume de paix et d’amour. Il y a ceux qui se présentent à la première
heure, ce sont les plus pressés de collaborer au Royaume, ceux qui ont eu la
chance d’avoir compris très tôt l’importance de travailler pour le Royaume. Au
temps de Jésus, les Juifs qui se convertissaient avaient déjà une certaine
perception de Dieu comme puissance de paix et d’amour. Mais il y a ceux qui
mettent du temps à comprendre ce qu’est le Royaume. Ici, par cette parabole, Jésus
vise visiblement les pharisiens qui s’obstinent, malgré les signées donnés du
Royaume à venir, dans leur suffisance et leur bien-pensance. Jésus témoigne de
la miséricorde de son Père envers les païens qui se convertissaient, bien que
ceux-ci n’avaient probablement pas la moindre idée de ce qu’il fallait entendre
par le règne de Dieu. Ils mettaient du temps à prendre part à la mission de
Jésus. Mais, dans les deux cas, pour les premiers comme pour les derniers, Dieu
veut tout donner gratuitement. Il donne la même chose à chaque ouvrier parce qu’il
donne le maximum à chacun. Il ne tient pas compte de la rapidité avec laquelle
les gens se sont engagés dans le Royaume, ce qui compte c’est la décision d’y
prendre part, même à la dernière heure. Tous ceux qui se mettent au service du
règne de justice et de paix reçoivent toute la vie de Dieu, en abondance. Car, précisément,
l’enjeu est là : il ne s’agit pas d’un salaire, d’une rétribution mais de
recevoir Dieu. Participer au Royaume, c’est accueillir Dieu qui se donne à nous.
Dieu ne peut se doser ou se donner à moitié.
Ainsi, aux yeux de Dieu, il n’y a pas de premier
et de dernier. D’une certaine façon, il n’y a que des premiers. C’est nous qui nous
persistons à classer les personnes en fonction de leurs prestations. La logique
de Dieu n’est évidemment pas celle de notre justice humaine, il s’agit d’une
logique de surabondance. Le prophète a donc raison de dire que « les
pensées de Dieu ne sont pas nos pensées et que nos chemins ne sont pas nos chemins ».
Dieu offre son Royaume à sa manière, même si cela nous heurte. « Autant
le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant [ses] chemins sont élevés
au-dessus de [nos] chemins, et [ses] pensées, au-dessus de [nos] pensées. »
Evitons de nous croire trop vite parmi les
ouvriers du Père qui attendent une récompense. Nous risquons parfois de réagir
comme des travailleurs matinaux, c’est-à-dire avec un mauvais œil. D’une part
nous nous autoévaluons et décidons que nous sommes valeureux, contrairement aux
autres. D’autre part, nous ne connaissons rien de la vie intime des autres, de
leur progression dans la foi et l’amour. Quelqu’un peut changer tout d’un coup
sans qu’on s’y attende. Même si on juge un arbre à ses fruits, il est
indispensable de garder à l’esprit que Dieu seul est juge et que nos critères
de justice ne sont pas les critères du Père. Ceci nous invite à la prudence et
à une certaine humilité.
Dieu n’est pas un PDG mais un Père qui déborde
de joie lorsque quelqu’un saisit son appel et décide d’entrer dans le projet de
son amour pour l’humanité. Dieu cherche sans cesse à se communiquer à ceux qui
acceptent de prendre part à l’aventure de la construction de son Royaume de
justice et de paix. L’ouvrier du Royaume trouve alors ce qui le comble :
un amour infini et gratuit. C’est ainsi que nous aurons « un comportement
digne de l’évangile du Christ ».
AMEN.
Michel Steinmetz †
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