Jésus réitère son enseignement, dans les mêmes
termes que ceux qui définissaient la mission de Pierre. Cette fois, cette
mission semble confier collégialement à chaque membre de l’Eglise : « tout
ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous
aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel ». Ces paroles sont à
comprendre dans le contexte de la correction fraternelle que Jésus recommande à
ceux qui se réclament de lui. Il donne des règles de conduite. Ce passage fait suite,
dans l’évangile de Matthieu, aux paroles bien connues : « Celui
qui se sera petit comme cet enfant, voilà le plus grand dans le Royaume des
cieux » (Mt 18, 4) et à l’épisode de la brebis égarée (Mt 18, 10-14).
Déjà la tradition juive proposait, selon la
parole des prophètes, d’avertir le méchant pour qu’il abandonne sa conduite. « Avertir
le méchant d’abandonner sa conduite », voilà la condition pour sauver sa
vie. Bien plus que de jouer au justicier et de se prendre pour Zorro – c’est le
risque, comme si nous étions extérieurs à la faute commise par autrui, nous
devenons solidaires de son destin. Non de sa faute, mais de son destin. Nous
faisons l’expérience que celui qui est pour nous un frère, en humanité ou dans
la foi, ne nous est pas étranger. Nous sommes liés à lui au point qu’il est
insupportable pour notre propre survie de le voir s’égarer.
Un autre danger plane sur le « guetteur »
de notre frère que nous avons à être : c’est celui de vouloir l’enfermer
dans ce que nous pensons juste et nécessaire pour lui. En le surplombant et l’écrasant
avec notre morale. En devenant les défenseurs de la bien-pensance et du
politiquement correct. Nous en venons à parfaitement savoir ce qui est juste,
ou pas, de faire et de dire ; mais nous oublions, en passant, de l’appliquer
d’abord à nous-mêmes. Le pécheur à avertir de sa conduite l’est toujours par un
autre pécheur…
Jésus va donc plus loin que la loi de l’Ancienne
Alliance en nous invitant à manifester une véritable solidarité à l’égard de
celui qui a péché : il ne s’agira pas tant de s’attarder sur la faute
commise, que de s’employer, avec patience et dans un esprit fraternel, à
ramener le pécheur sur le chemin du bien. Il faut souligner aussi que Jésus ne
parle pas de faute, mais bien de péché : c’est-à-dire ce qui blesse l’autre
en blessant la relation à Dieu lui-même. Cette correction fraternelle se fera d’abord
dans une relation duelle, privée, dans un cœur à cœur ; si ce frère n’écoute
pas, il conviendra d’associer à la démarche « deux ou trois témoins » ;
et si cela ne suffit toujours pas, de le faire devant la grande assemblée.
Certes, le succès n’est jamais garanti. On n’est jamais sûr que cela portera du
fruit. Jésus ne laisse pourtant pas le choix à ses disciples : ils n’ont
certes pas d’obligation de résultat mais de moyens. Le résultat est l’œuvre de
Dieu : c’est Lui qui pardonne. Son Eglise n’a cependant pas le choix :
elle doit témoigner de la miséricorde de son Seigneur et sans cesse appeler à
choisir la vie qu’il offre, plutôt que le chemin qui, en s’éloignant de lui,
mène à la mort. Le pardon de Dieu, dont
nous sommes les messagers et les témoins, est toujours un acte créateur, un
nouveau commencement qui ne peut venir du monde. Dieu seul remet debout et
guérit. En pardonnant et en nous réconciliant, nous faisons « quelque chose
» que nous ne pouvons pas « faire ». Nous offrons « quelque
chose » à l’autre qui nous dépasser et dont nous ne sommes que les
dépositaires.
On ne peut faire boire un âne qui n’a pas soif :
vous connaissez sans doute le dicton. Il dit vrai. On ne peut forcer personne à
accepter ce à quoi il ne consent. Nous ne pouvons forcer personne à accepter le
pardon de Dieu. Il est cependant de notre responsabilité de montrer que Dieu
sans cesse nous fait miséricorde, nous ouvre son pardon et nous remet debout.
Le pardon de Dieu est beau. Il est une grâce et il faudrait être un âne, c’est
vrai, pour vouloir s’en passer.
AMEN.
Michel Steinmetz †
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire