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Progressivement seront mis en ligne ici des articles de fond et d'investigation essentiellement en liturgie, mais aussi en d'autres domaines de la vaste et passionnante discipline qu'est la théologie !

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mardi 22 mars 2016

Homélie du Saint Jour de Pâques - 27 mars 2016

 
 
Il y a quelques heures encore, nous étions à genoux au tombeau. Nous contemplions le corps défiguré de Jésus, déformé par les souffrances de sa Passion et par le poids du péché des hommes qu’il emmenait avec Lui au sépulcre. La pierre avait été roulée pour le grand repos, le repos de Dieu, le shabbat, ce jour pendant lequel on ne pouvait laisser les corps en croix. Dans cette inactivité, Dieu ne chômait pas. Il préparait la création nouvelle. Nul ne connaît l’heure de la victoire du Christ. Nul n’en a été directement témoin. La seule preuve, c’est l’absence du corps, la pierre roulée, et le suaire laissé là, bien en l’état. Personne ne sait comment la nuit s’est transformée en lumière du matin de Pâques. Ce que nous savons, c’est que nous en avons reçu toutes les grâces.
 
Il y a quelques heures encore, nous ne pension qu’à une chose : le Seigneur est mort, tous nos espoirs semblaient réduits à néant. A quoi bon le suivre, si Lui aussi devait finir comme nous tous ? Voilà que nous sommes devant un tombeau vide. C’est un absent qui nous mobilise et nous rassemble. Déroutante situation, ne trouvez-vous pas ? Nous sommes devant le vide et c’est lui qui devrait nous réjouir. Le tombeau est vide, comme nous-mêmes nous sommes vides. N’entendez pas cela au sens où l’on pourrait penser que l’on se sent vidé de l’intérieur, sans âme, sans ressort spirituel, sans espérance. C’est précisément tout le contraire qui se produit ici et que Pierre et Jean vont venir constater à la hâte.

 
Le vide fait place à la vie. Tout simplement. Parce que le péché, le mal et la mort sont mis au sépulcre. Dans la tombe. Ils y restent, morts et enterrés. Par contre, Jésus, lui, n’en reste pas prisonnier. Il a traversé la mort. Une raideur nous empêche encore de constater que la Vie est devant nous, comme le Ressuscité nous appellera à le suivre, Lui qui ne cesse de nous précéder.

 
Pâques, c’est notre jour de naissance véritable. Jamais il n’y aura de jour plus neuf que ce plus jeune de nos jours. Aujourd’hui, le Ressuscité nous appelle par notre nom et fait débuter pour nous la vie éternelle. Nous naissons à l’éternité. La Résurrection est la pierre d’angle de notre vie, comme le chantait le psaume 117. Pierre angulaire, rejetée par les bâtisseurs du bien-penser qui ne pensent qu’à eux-mêmes et se croient invincibles ; pierre angulaire qui est pour le Christ et su laquelle nous savons pouvoir construire notre vie. Cette assise, il nous faut l’annoncer. La nouvelle de ce jour nous ne pouvons la garder pour nous. Nos frères orthodoxes ont cette belle habitude de se saluer durant tout le temps de Pâques en remplaçant le banal « bonjour » par « Christos anesti ! » (Christ est ressuscité !).

 
Dorénavant, chaque fois qu’un homme, qu’une femme décide de s’oublier lui-même, d’abandonner sa propre étroitesse, sa volonté, sa force, sa tendance à se fermer, à se révolter, là grandit le Royaume du Ressuscité. La création nouvelle poursuit sa croissance. Souvent sans bruit, sans tintamarre, mais réellement. Toutes les fois que vous pouvez repérer un de ces germes, que vous en êtes l’auteur, dans un service rendu, une attention au frère, un acte de charité, une bienveillance, vous laissez la vie du Ressuscité qui est en vous s’épanouir et changer le monde. Ne cherchez pas d’autre signe de la résurrection de Jésus que celui, bien pauvre tout compte fait, d’un tombeau vide. C’est là que tout se joue et pourtant vous ne devrez pas y demeurer. Votre péché y et enfoui, pour peu que vous le vouliez. Jésus, lui, vous attend plus loin. Il vous appelle par votre nom, rompt pour vous le pain.

 
Aujourd’hui, autour de vous, dans vos familles, parmi vos amis et vos connaissances, il vous appartient de montrer ce qu’est une existence transfigurée par la Résurrection. Le Christ fait de vous ses associés.

 
AMEN.
                                                 
Michel Steinmetz

Homélie de la Vigile pascale - 26 mars 2016

Chers amis, j’aimerais vous inviter à considérer, un moment au moins, ce qui est en jeu ce soir. Certes nous venons de jeûner, quarante jours durant, d’alléluias. Il retentit à nouveau à l’annonce de la résurrection du Seigneur. Certes nous sortons du Carême, de sa pénitence, de son ascèse peut-être et assurément de son appel à la conversion. Cinquante jours durant ce va être la fête pour toute l’Eglise. Pâques, n’est-ce que cela ? N’y a-t-il rien de plus profond, de plus engageant ?
 
Réfléchissons un peu. Christ est ressuscité. C’est-à-dire que l’homme Jésus, le Fils de Dieu, que nous avons vu crucifié vendredi, qui a été mis au tombeau, qui était réellement mort, est vivant. Pour preuve, un ange annonce la nouvelle aux femmes venus au tombeau, et Pierre ne peut que constater que tout est à sa place, mais que lui, Jésus, n’y est plus.
 
Ce n’est pas là qu’un fait anecdotique qui mobiliserait ceux qui ont décidé de croire en Jésus-Christ et de Le suivre en son Eglise. Cette fête est celle de notre relèvement, et plus encore du relèvement de l’humanité entière, celle d’hier, d’aujourd’hui et de demain. La Pâque de Jésus instaure quelque chose de profondément nouveau dans l’Histoire des hommes et lui imprime un sens. Il y a dans la Pâque quelque chose d’irrévocable, quelque chose de sûr et d’assuré.
Il est vrai que, trop souvent, nous avons des raisons de nous lamenter et de désespérer de la nature humaine autour de nous et dans le monde. C’est vrai : la résurrection de Jésus n’a pas instauré, comme par magie, la fraternité définitive entre les hommes, la justice, la liberté, la charité. Des hommes continuent de se faire la guerre : la violence donne toujours à voir la face la plus obscure de notre humanité. Dans l’Eglise aussi, le péché des hommes peut venir ternir ce qu’il y a de plus beau et de plus précieux. Par la faute de certains, la honte et le discrédit peuvent être jetés comme un voile d’opprobre sur ce qui devrait demeurer irréprochable. Pourtant, la Résurrection instaure une ère nouvelle pour l’humanité.
 
Jésus a pris sur lui, à bras le corps, pourrait-on dire, le péché des hommes – tout : les petits et les gros péchés, ce que nous faisons de mal en pensées, en paroles, par action et par omission, nos fardeaux, ce que nous traînons de désillusions, de souffrances, de blessures, de mort. Tout cela, « l’homme ancien » dit saint Paul, est cloué sur la croix. Jésus n’est pour autant pas un bouc émissaire que l’on aurait chargé comme une baudruche. Ce qu’il a supporté, il le fait passer par la mort, pour le purifier. Les germes de mort se changent en germes de vie, en semences d’un monde nouveau qui ne cesse de croître. Désormais la mort et le mal n’ont plus le dernier mot. L’ordre des choses est renversé. L’humanité tordue est remise d’aplomb. Cela cependant se fait par chacun de nous et cela ne peut se faire sans nous.
 
La victoire du Christ est définitivement acquise. Dieu se met en situation d’avoir de nous. Pourquoi ? Parce que chacun de nous, frères et sœurs, est un « autre Christ ». Chacun par son baptême est fait christ, c’est-à-dire qu’il est oint, choisi et appelé par Dieu, personnellement. Non une foule d’individus épars que Dieu de plairait à choisir massivement, mais chacun individuellement, appelé par son nom. Dieu a confiance en nous. Il nous délivre d’un péché dont nous ne sommes plus esclaves et qui n’est pas la fin de l’homme. Note vie doit donc être une vie de ressuscité. Cela signifie très concrètement que l’autre Christ que vous êtes doit laisser parler et s’exprimer ce qu’il y a de ressuscité en vous. Vous savez et vous croyez que la violence, la tromperie, le non-droit, le mal n’auront pas le dernier mot. Vous savez et vous croyez que dans le combat engagé la fraternité, la charité et la justice triompheront. Vous savez et vous croyez que le mal qui nous accable n’aura pas raison de nous. Vous savez et vous croyez que Dieu nous veut heureux auprès de lui. Vous le savez et vous le croyez. Il faut maintenant en vivre, le dire, le montrer. Si vous ne le faites pas la Résurrection de Jésus restera pour vous de l’ordre d’un doux rêve. Si vous le faites, votre vie sera déjà du côté du Ressuscité. 
 
AMEN.
 
Michel Steinmetz

Homélie pour l'office de la Passion et de la Mort du Seigneur - 25 mars 2016

Dieu est dangereux. Le voici, là sur la croix, les bras étendus. Il rassemble et attire tout à lui. Il happe l’humanité.  Il ne la laisse pas tranquille. Sa mort nous provoque. Son Royaume n’est pas de ce monde, parole sublime et céleste. Son Royaume n’est pas de ce monde, il est supérieur. Laissez-lui donc son Royaume ! Il sera bien obliger de nous laisser le nôtre. Il sera descendu de la croix, mis au tombeau. On roulera la pierre. Les disciples se disperseront. Bientôt l’affaire sera close et ne parlera plus de cet agitateur. Enfin l’humanité bousculée par ses paroles, ses enseignements, ses miracles reviendra à sa tranquillité. Assez de mauvaise conscience.
 
Nous savons que cela ne se produira pas. Car aujourd’hui, rien n’est fini, bien au contraire. La croix est dressée et elle ne cessera d’être pour tous un signe de contradiction. Celui qui nous enseigne l’amour sans limite de Dieu, sa miséricorde plus grande que tout notre péché. Elle est le signe devant lequel nous nous prosternons, parce que, par elle, nous avons la vie. Elle est le signe que nous ne cessons de tracer sur notre corps en souvenir de ce jaillissement de grâce. La croix de Jésus nous fait chrétiens.
 
La tentation, y compris la nôtre, est bien souvent cependant d’enfermer le bon Dieu ou de le tenir à bonne distance. Qu’il nous ne provoque pas trop ! Nous catholiques, nous l’avons volontiers appelé, de manière désuète, le « prisonnier du tabernacle ». Là tu le tiens fermement en sûreté. Il est là dans l’obscurité, dans ce coffre. La clé pour l’ouvrir se trouve quelque part à la sacristie. C’est là que nous le faisons résider, et il devrait s’estimer heureux si quelques bonnes vieilles passent, en revenant de la boulangerie, pour lui dire une dizaine de chapelet. Pour cela, me direz-vous, il faudrait d’abord que l’église soit ouverte… Au dehors, les gens passent, les voitures fusent. Au mieux jette-on un regard vers la façade de l’église. A-t-on besoin de Lui ? Chacun mène sa vie sans trop se poser de questions.
 
Lorsque l’affaire devient sérieuse, l’homme qui estime n’avoir jamais prisé assez haut sons propre besoin d’amour, repousse tout net l’offre d’amour. Il s’échappe des bras qui voudraient e saisir. Au fond de lui-même une voix intime l’avertit : « ne te laisse pas entraîner ». Le danger est trop grand. Dis-lui que cela te fait beaucoup de peine, que tu as déjà tout ce qu’il te faut ou que tu te débrouilles par toi-même, tout seul comme un grand. En disant cela, ton regard voit, là, la porte du tabernacle ouverte. Il est vide. Dieu se serait-il échappé ? Il te rappelle simplement qu’Il est toujours là où tu ne l’attends pas. La croix ne l’a pas arrêtée. Au contraire, elle est devenue son trône. C’est dans ta faiblesse désormais qu’il agit et qu’il te sauve. Parce qu’il l’a prend sur lui, la traverse et la ressource de sa vie.
 
 
Tu penses te débrouiller par toi-même. C’es bien. Mais pourquoi balbuties-tu le Notre Père avec ces paroles : « Délivre-nous du Mal » ? Tu crois donc, au moins un peu, qu’il pent faire quelque chose pour toi. Ton fardeau est lourd, tes soucis pesants. Il y a ceux qui tu partages, et tous ceux dont tu n’oses parler. Sur la croix, regarde, le Fils de Dieu a les bras ouverts. Viens à Lui ! Dieu n’est pas si dangereux que cela. Il aime, il t’aime. C’est tout. Et cela nous suffit.
 
 
AMEN.                  
                                                                                                                                                                                 
Michel Steinmetz

Homélie de la messe in Coena Domini - 24 mars 2016

Jésus s’abaisse. Il le fait consciemment en exemple qu’il nous donne afin que nous fassions, nous aussi, comme il a fait pour nous. Il s’abaisse, c’est-à-dire qu’il se met à notre niveau, lui, le Fils de Dieu, le Messie et qu’il accomplit le geste du serviteur face à son maître. Comment lui, le Sauveur, Celui que la foule acclamait il y a quelques jours quand il entrait à Jérusalem pour le faire roi, comment donc lui, pourrait-il se prosterner devant nous ? Quel renversement de situation ! Et comment pourrions-nous mettre notre foi en un Dieu que nous prions comme le Tout-Puissant, Celui que nous croyons en situation de changer le monde, et qui s’abaisse ainsi ?
 
Nous avions attendu un flot de grâce, nous pensions que Dieu répandrait son Esprit comme un torrent et qu’un royaume était en train d’advenir. Mais absolument rien ne changera. Parmi les disciples, certains feront le récit de sa vie, les gens écouteront un moment, étonnés, et pendant une courte période l’Eglise apparaîtra comme posséder une nouvelle vie spirituelle, une force venue d’en-haut. Mais déjà ce monde commence à déteindre sur elle, elle se farde avec les couleurs du monde au gré de la mode, et certains osent lui demander ce qu’elle a apporté de nouveau. La question est justifiée.
 
Le monde nous demande de présenter des preuves. En quoi notre foi peut-elle apporter quelque chose à la société ? Comment l’Eglise contribue-t-elle à l’amélioration du vivre-ensemble, de la fraternité entre les peuples ? Nous sommes enveloppés dans le péché commun à tous, pris les pieds dans le tapis du péché. La miséricorde du Christ exposée là rend encore plus flagrant notre faiblesse et nos manquements. Nous n’avons, frères et sœurs, d’autre revendication, d’autre signe que celui de l’abaissement du Fils et son commandement pour nous à faire de même. Notre seule fierté est la croix du Christ. Nous n’avons d’autres preuves à donner que celle-là. Ici, dans cet abaissement, fascinant et insoutenable, tout est dit. En Jésus, la faiblesse devient une force. Elle est gage de notre relèvement. Parce que nous ne serions pas capables de nous mettre à la hauteur d’un si grand Dieu, de son amour inépuisable, Il consent à se mettre à notre hauteur. La table de son eucharistie est si haute, si digne qu’il nous serait impossible de saisir le pain et le vin disposés là. Alors la table est mise à portée de main. Dieu se laisse saisir.
 
Quand Jésus s’abaisse pour nous laver les pieds, il se met à notre niveau et rend possible la rencontre. Car il n’y a de rencontre possible que dans le chemin vers l’autre, le chemin qui permet à l’autre d’exister et de se livrer. En nous donnant ce geste comme testament spirituel, en même que la consigne de rompre le pain et prononcer la bénédiction sur la coupe, il nous indique une voie. C’est celle que nous voulons emprunter avec Lui ce soir. Notre communion avec Lui passe dans celle, exigeante et âpre, avec les frères et sœurs que nous sommes. Avons-nous réellement conscience de ce lien de famille qui nous unit ? De cette communauté de destin que nous formons ? Nous sommes solidaires les uns des autres parce que le Christ passe au milieu de nous pour abolir toutes les distances, sociales, professionnelles, ethniques, raciales, que ce monde voudrait instaurer entre nous comme des murs.
 
Sa proximité, Lui qui se donne en nourriture, sera le seul et l’indispensable témoignage que nous pourrons Lui rendre. Ce témoignage suscitera l’étonnement, la suspicion, le rejet et parfois la haine. Commet ces chrétiens pourraient-ils oser prétendre être le levain dans la pâte du monde ? Frères et sœurs, nous serons hypocrites si nous cherchons ce ferment ailleurs que dans le croix du Seigneur qui se profile au sommet du Golgotha. Dites à ceux qui vous entourent, y compris les plus proches qui ne partagent peut-être pas notre foi, que Dieu en son Fils s’abaisse devant nous pour nous relever en Lui.    
 
AMEN.
 
Michel STEINMETZ

dimanche 20 mars 2016

Homélie du dimanche des Rameaux et de la Passion (C) - 20 mars 2016

Un homme va mourir. Il faudrait pleurer. Mais la foule est en liesse et Jésus ne repousse pas sa joie. Que faut-il comprendre ? Que valent cet enthousiasme, ces acclamations ? Ne savons-nous pas qu’incessamment, la situation va basculer ? De l’accueil au rejet, de la reconnaissance à l’abandon, quelques jours suffiront pour que Jésus perde tout : son honneur et sa dignité, ses frères et ses amis. Comme les pharisiens, mais pour une autre raison, celle de notre lucidité, nous serions tentés de fustiger l’exubérance des gens. L’heure est-elle à fête et à la joie ? Et pourtant, Jésus s’y associe tout entier. Il refuse de la réprimer.
 
La liturgie juxtapose le triomphe des Rameaux et la lecture de la Passion. L’échec suit le succès, la peine recouvre la joie. Du haut de son petit âne, Jésus nous provoque. A quoi ? Jésus nous provoque à entrer dans la joie, à entrer dans l’ironie du moment, non pas pour amoindrir sa gravité, son poids, sa profondeur, mais pour en percevoir l’enjeu. La foule acclame son messie. C’est limpide et pourtant, il y a méprise. Aux Rameaux, Jésus est le Seigneur mais il est le Seigneur des pauvres et par là le Seigneur de tous : de ceux qui n’auront pas le panache de rester forts dans l’adversité, de ceux qui déserteront quand viendra l’extrême souffrance, de ceux qui douteront toujours un peu, mais pas assez pour renoncer à croire. Il est le Seigneur de ceux qui restent les yeux rivés sur leurs petits bonheurs. Il accepte d’être leur Seigneur ! Et pour lui, cette joie enfantine des Rameaux n’est pas condamnable. Il accueille et il bénit la joie des enfants et des petits.
 
Cette  joie des Rameaux est la nôtre lorsque, pauvres avec les pauvres, nous mendions auprès de Jésus nos bonheurs, petits ou grands, légitimes ou non. Lorsque nous mendions auprès de Lui parce que nous croyons qu’il entre en nos désirs même les plus inavouables, les plus fous, les plus risqués, les plus honteux peut-être, les plus ridicules parfois. Il entre dans la foule de nos faux problèmes, de nos bonheurs qui n’en sont pas, de nos illusions chéries. Jésus suit le chemin que nous lui traçons avec nos palmes et nos manteaux. Le chemin des succès dont nous rêvons. Il assume ce chemin qui conduit à l’impasse dans la fosse commune des illusions perdues. Il assume ce chemin comme il assume notre pauvre joie, pour l’accomplir et le traverser, le sauver, en faire un véritable chemin triomphal, modeste comme le petit âne choisi, mais souverain. La joie des Rameaux, la voilà : C’est la joie des pauvres.
 
Ce jour, la fête est prématurée. Elle est en attente, en suspens. L’issue ne dépend pas de nous. La grande transformation du monde, selon le désir de Dieu, ne dépend pas de notre force, de notre effort, ni même de notre conversion. Elle est à recevoir. Nos attentes sont infantiles, nous cherchons de fausses solutions, des placebos, des antalgiques, un peu d’opium, pour combler le vide de nos vies. A nos problèmes immédiats, Jésus répond et ne répond pas. Mais il assume nos espoirs. Au cœur de notre errance, il est présent. Mais où donc le Christ pourrait-il nous rejoindre si ce n’est sur le chemin de nos illusions ? Ceux qui n’espèrent rien ne cherchent rien. Ils ne voient que l’âne et pas le salut qui est dessus. Seuls ceux qui espèrent peuvent être déçus. Seuls ceux qui se sont trompés dans une espérance humaine peuvent rencontrer le Christ en relisant l’histoire de leur malheur, comme les disciples sur le chemin d’Emmaüs. Jésus accueille la joie des pauvres, sans la réprimer. Il entre dans leur espérance sans la démentir. La joie qui est la nôtre, nul ne pourra nous la ravir : qui donc pourrait nous séparer de Lui ?
 
Dans la discrétion du matin de Pâques, dans l’explosion silencieuse de la vie, répondra pour toujours tout ce qu’il y a de vivant en nous, timide ou fort, tordu ou bien droit. Jésus nous rend forts de notre faiblesse en la prenant sur lui. En entrant à Jérusalem, il nous rend à la joie, la joie d’être sauvés. Alors les pauvres crient à la face du Seigneur, car Il vient. Il épouse leur joie, Il épouse notre joie : Son amour est plus fort que tout.
 
AMEN.
 
 
 Michel Steinmetz

vendredi 11 mars 2016

Homélie du 5ème dimanche de Carême (C) - 13 mars 2016

Qui ne connaît pas la parole de Jésus aux accusateurs de la femme adultère : Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre. C’est une parole libératrice qui nous fait réfléchir en bien des situations. C’est une parole qui concerne chacun directement, que personne ne peut esquiver.  Ce n’est pas pour rien qu’elle est devenue une sorte de proverbe.
 
Voyons d’abord la situation au cours de laquelle Jésus a parlé. A l’époque, l’adultère était très sévèrement puni, comme aujourd’hui encore en bien des endroits du monde. Selon la Loi de Moïse, la femme adultère doit être condamnée à mort, lapidée. C’est ce qu’exigent énergiquement les hommes qui ont surpris une femme en flagrant délit d’adultère, et qu’ils amènent devant Jésus. On peut imaginer la peur panique de cette femme, la peur de la mort. Quel a bien pu être son regard, ses yeux pleins d’effroi, quand elle fut violemment traînée devant Jésus ? Est-ce que personne n’a pitié d’elle ? De fait-elle de peine à personne ? Les hommes bien informés quant à la Loi n’ont attrapé qu’elle. Pourtant il faut toujours être deux pour un adultère. Où donc est l’homme ? La Loi de Moïse prescrit clairement  que l’homme et la femme doivent être conduits  à la porte de la ville et tous deux doivent y être lapidés (Dt 22, 22-24). Les zélés prescripteurs de la loi divine ont-ils laissé l’homme adultère s’enfuir pour n’amener que la femme ? Ne devaient-ils pas d’abord chercher la faute chez l’homme qui a commis l’adultère ? La loi mosaïque lui impute la faute principale. Fermerait-on plus facilement les yeux sur l’écart d’un homme que sur celui d’une femme ? Y a-t-il ici deux poids, deux mesures ?
 
Pour Jésus, il n’y a qu’une seule mesure, et elle vaut très justement pour tout le monde. Il ne remet pas en cause le fait que l’adultère est un péché grave. Il n’est pas un libéral pour qui le péché n’existe pas. Mais il ne veut pas se laisser entraîner par les accusateurs de la femme adultère uniquement sur le terrain de son péché à elle ? « Et bien lapidez-là », dit-il en substance, comme Moïse l’a prescrit. Eux qui savent tout, pourquoi d’ailleurs veulent-ils recueillir son avis ? Mais si tu lapides la pécheresse, tu dois être toi-même sans péché : Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre.
 
Soudain ce n’est plus la femme adultère qui est au centre, mais mon propre péché. Tu juges cette femme, et tu as raison : elle a péché gravement. Regarde donc un peu ta propre vie : même si tu n’as pas commis d’adultère, comme ils sont nombreux tes autres péchés ! Es-tu sans péché ? Te considères-tu meilleur que cette femme qui a couché avec un autre homme que le sien ? Et voilà ! Chacun, un par un, l’un après l’autre, laisse tomber sa pierre et s’en va ! Est-ce qu’ils ont tous rougi de honte en pensant à leurs propres péchés ? Pour une fois, les pharisiens vont être logiques : les plus vieux partiront les premiers. Ce sont les plus sages, ou, au moins, ceux qui ont fait le plus l’expérience de leurs propres limites et de leurs propres faiblesses.
 
Vient alors la magnifique parole de Jésus à la femme qui, maintenant, est seule avec lui : Moi non plus je ne te  condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus. Il ne la condamne pas, et donc ne me condamne pas non plus. Oserai-je encore condamner les autres ? Faire ce que Dieu refuse de faire à mon sujet ? Je jette des pierres aux autres par mes paroles, mes gestes, mes regards, au lien de commencer par moi-même et d’essayer de ne plus pécher. Au moins, d’essayer de la faire.
 
 
AMEN.
 
 
                                                 
 Michel Steinmetz

vendredi 4 mars 2016

Homélie du 4ème dimanche de Carême (C) - 6 mars 2016


Avec quelle impatience le benjamin de la famille attendait ce jour ! Il lui était devenu insupportable de rester plus longtemps dans cette maison : le poids du père l’étouffait. Exiger son héritage, c’était comme vouloir la mort du père. Il voulait être adulte, décider à sa guise, ne plus obéir à un maître, cesser d’obéir comme un gosse. Et il s’en alla, loin, le plus loin possible. Enfin il se sentait libre, indépendant, autonome. Avoir, posséder : c’est la toute-puissance arrachée à Dieu. Mais le pays loin de Dieu, le monde de la non-foi, conduit à des lendemains qui déchantent. Quand l’homme veut « s’éclater » comme on dit, il arrive toujours un moment de saturation, de dégoût. Lorsque la liberté devient licence, elle bascule dans l’esclavage. L’homme devient misérable, dépouillé, sans ressources. Ainsi, en quelques mots, Jésus esquisse l’horreur d’une société qui veut s’édifier sans le Père : elle promet tous les plaisirs, la fin de ce qu’elle appelle « l’aliénation religieuse », la suppression des interdits, l’épanouissement, l’explosion sans frein de la vie et elle se révèle une jungle où un jeune nanti peut assouvir ses passions en multipliant les partenaires, où un patron peut faire fortune en réduisant son personnel en esclavage. Dans ce « pays », l’homme y est un loup pour l’homme.
 
Mais quand perce la conscience du désastre, il peut commencer à penser. Aucune honte sur sa conduite, aucun remords d’avoir peiné son père. S’il envisage de rentrer, c’est parce qu’il y est forcé. En route, il se demande, anxieux, si son père l’acceptera. Ne va-t-il pas lui claquer la porte au nez, le chasser avec colère, le punir durement ? Lorsque nous avons tourné le dos à Dieu, voici que nous découvrons le Père qui se révèle dans sa tendresse infinie. Le père est certes affligé par le départ de tant de ses enfants mais il ne les ramène pas de force. Comme dit Péguy, Dieu ne veut pas « des prosternements d’esclaves ». Et s’il n’exige pas « la contrition parfaite », il faut au moins que l’homme perdu bégaie un appel, manifeste un début de démarche. Mais dès qu’il le perçoit, Dieu est ému, bouleversé. Le sentiment du père n’est pas la « pitié » mais la miséricorde. Son cœur se penche vers notre misère. Le jeune murmure un début d’aveu:  « Père, j’ai péché, je me mérite plus...». A celui qui présente les blessures de ses fautes, Dieu ne peut que tendre les bras. Que son enfant soit à ce point abîmé par le péché lui est intolérable ; il le restitue dans sa beauté.
 
Mais dans l’évangile, il y a encore l’autre, l’aîné ! Il est demeuré à la maison : fidèle, droit, travailleur, bon pratiquant. Lorsqu’il apprend que le père a organisé un festin pour fêter le retour de son frère, il se met en colère et refuse d’entrer. A son père sorti à sa rencontre, il crache sa hargne. Il enrage : il s’est toujours efforcé de mener une vie obéissante, avec beaucoup de sacrifices, dans la routine des jours, et voilà que le père organise une grande célébration pour fêter le retour du débauché.
 
Le « frère aîné », c’est le brave chrétien qui a tout fait bien, le bon fidèle, le généreux donateur. Mais il a perdu une chose : la joie d’être là, « à la maison ». Il n’est pas content d’avoir la foi, elle lui est devenue une routine, une charge pour lui. Pourquoi s’efforcer à être un bon croyant ? Dieu ne partage pas nos conceptions mesquines : il n’est pas un roi qui punit ses sujets félons, ni un patron qui chasse un employé. Il est Père de façon irrémissible. L’aîné n’a pas plus compris Dieu que le benjamin : il obéissait avec une mentalité servile sans jouir de sa liberté, sans goûter le bonheur de croire et de demeurer dans la Vie. Il se coupe lui-même de l’eucharistie qui est le banquet de la joie où le Père nous convie et où le Fils se donne pour la multitude.
 
Jésus veut que tous les « grincheux frères aînés » que nous sommes se réjouissent avec Dieu du retour du fils prodigue. Lui non plus n’est pas condamné par le père. Il l’invite simplement à la joie : « Toi mon enfant, tu es toujours avec moi ! ». Comment ne serait-il pas un chrétien joyeux ?
 


AMEN. 
 


                                                 
Michel Steinmetz †