Je suis toujours surpris devant les
commentaires qui sont postés sur les réseaux sociaux. Ils ont souvent pour
auteurs des personnes parfaitement non-informées sur le sujet qu’elles se
croient en capacité de commenter. Mais le plus grave est que tout aussi souvent
des propos hargneux et blessants viennent se mêler à tout cela. Jadis, ces
paroles étaient l’œuvre des piliers de bar au bistrot du quoi, et ne portaient
finalement pas plus à conséquence que cela ; aujourd’hui, elles sont
écrites et diffusées très largement. Il y a de quoi être affligé. Imaginez dans la Palestine du Ier
siècle, l’histoire de Joseph. Elle a probablement scandalisé les habitants du
petit village de Nazareth : le récit de Marie, fiancée à Joseph et enceinte
avant son mariage, a dû certainement alimenter des ragots... et les
commentaires déplacés ! J’imagine qu’au café du coin, où dans le quotidien « Le
Jourdain », la presse à sensation locale, les commentaires ont dû aller bon
train...
Il est facile d’attaquer pour ne pas se
remettre en question. Dans nos familles, dans nos lieux de vie, nous aussi,
nous alimentons souvent, involontairement, la suspicion, les intrigues... Nous
discutons, convaincus parfois d’avoir certaines clés, alors que celles-ci nous
manquent. Les murmures sont souvent des moyens de ne pas se remettre en
question, de ne pas faire face à la réalité. Les murmures sont aussi des signes
d’orgueil car nous croyons savoir. Et l’histoire de Joseph nous montre précisément
que nous ne savons pas tout. Que l’intimité ne peut jamais nous appartenir.
Joseph, lui non plus, ne savait pas tout et il n’était pas prêt. Mais il a
accueilli simplement et sans juger la vie qui lui était confiée. Accueillir
sans juger : voilà ce qui fait de lui un homme juste. Et comme Joseph, nous
pouvons entendre une voix nous dire : « Ne crains pas ». « N’aie pas peur de ce
qu’on dit de toi ». C’est parce que tu ne connais pas l’intimité des histoires
de ceux que tu rencontres que tu es invité à ne pas juger. Juger, c’est avant
tout ne pas connaître. Voilà pourquoi la justice dans l’antiquité grecque souvent représentée avec un voile sur les yeux. Comme si tout jugement s’accompagnait
toujours d’un mouvement d’inconnaissance, qui peut restaurer la confiance.
Dans l’Evangile, alors que Luc nous présente l’histoire
de Jésus à travers les yeux de Marie, Matthieu nous présente la même histoire,
la naissance de Jésus, à travers les yeux de Joseph. Joseph ne comprend pas ce
qui lui arrive. Deux possibilités s’offrent alors à lui : la suspicion qui
murmure ou la confiance qui ne juge pas. Joseph est un homme juste, c’est aussi
un homme religieux. Il connaît les Ecritures et il est pétri de l’attente de
son peuple. Un jour, Dieu enverra un Sauveur. Il va naître d’une vierge. Elle
sera enceinte et on lui donnera le nom d’Emmanuel. Voilà le signe que Dieu
donnera. Joseph, pas plus qu’Acaz, n’exigera de signe. Il l’accueillera, tout
simplement, et fera confiance. Confiance à Marie, confiance à l’ange, confiance
à Dieu.
Le temps de l’Avent est donc bien plus qu’un
temps d’attente. C’est un temps qui nous invite à transformer notre regard,
pour accueillir avec confiance l’imprévu, ce que nous n’avons pas choisi, ce
que nous n’avons pas décidé pour nous-mêmes. Cela prend du temps de découvrir
qui nous sommes. Une vie ne suffit jamais. Cela prend du temps de discerner qui
nous pouvons devenir, ce que Dieu nous invite à être. Parfois nous prenons des décisions, et nous
ne comprenons nos choix que bien plus tard. Il ne s’agit pas de tout justifier,
mais où que nous soyons, il est toujours possible de relire sa vie. Nous ne
pouvons changer notre histoire, mais nous pouvons changer sa lecture pour
intégrer dans nos vies ce qui semble impossible
à accepter ou à digérer. Voilà la liberté des enfants de Dieu. C’est cette
liberté que nous montre Joseph : un chemin d’humilité et d’inconnaissance.
Joseph, en ne craignant pas de prendre Marie pour épouse, veut ainsi le
non-voulu. Comme le dit le poète, « Lorsque tu désires ce que tu as, tu as ce
que tu désires. »
Peut-être que c’est seulement lorsque nous
désirons pleinement ce que nous avons (c’est à dire notre humanité), que se
dévoile ce que nous désirons au plus secret de nous, l’intimité de Dieu.
AMEN.
Michel Steinmetz †
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