Imaginons ce qui se passe ce jour-là à Naïm. Jésus arrive à la porte de
la ville avec « une foule nombreuse qui faisait route avec lui ». Le
passage est étroit, il faut franchir la porte pour entrer dans la ville. Et
voici que juste à ce moment un cortège funèbre arrive en sens inverse pour
sortir de la ville. Tous les automobilistes ont déjà connu ce genre de
circonstance où il faut s’arrêter et attendre. En général, on ne pense à la peine
de la famille qui suit le cercueil ! Enervé, on regarde plutôt sa montre
en mesurant le temps que l’on perd en attendant.
Deux foules se rencontrent donc inopinément : Jésus suivi par ses
disciples, émerveillés par ses guérisons miraculeuses, et un cortège funèbre où
les gens pleurent autour d’une maman effondrée, avec des pleureuses qui crient
des lamentations. La joie et la tristesse. La vie et la mort. L’espérance et la
tragédie.
Jésus voit cette mère écrasée de chagrin, il est touché, il agit.
Le mot « pitié » est bien trop faible pour traduire Luc qui écrit : « Jésus
est bouleversé aux entrailles » (comme une mère peut l’être), un verbe qui
n’est utilisé par les évangélistes que pour Jésus. Il est touché au plus
profond de son être devant les hommes perdus, devant les foules affamées,
devant les pauvres… Pour Jésus, il n’y a plus que cette femme qui compte, avec
son chagrin, sa détresse, son deuil. La douleur de cette femme devient la
douleur de Jésus. Tous deux communient dans la même souffrance. Nous, trop
souvent hélas, nous essayons de ne pas voir les faits qui nous dérangent, ou
nous ressentons une vague pitié qui nous serre le cœur un instant et, la larme
à l’œil, nous sentant impuissants, nous retournons à nos affaires en tentant
d’oublier au plus vite. Jésus, lui, ose regarder vraiment l’autre souffrant, il
entre dans son affreux malheur, il en est retourné comme une mère qui perd « le
fruit de ses entrailles ». Il se sent « responsable » (tenu de répondre) ;
il s’approche au lieu de fuir ; il passe à l’action.
Je te l’ordonne : lève-toi » :
ce verbe tout simple est un des deux que les apôtres emploieront pour désigner
la Résurrection de Jésus à Pâques : « Son Père l’a relevé…Il s’est réveillé ».
Mais tandis que le jeune homme bénéficie d’un sursis qui lui permet de
retrouver sa mère, de vivre encore quelques années sur cette terre avant de
connaître une mort définitive, Jésus, lui, vivra de la Vie éternelle. C’est
pourquoi il conviendrait mieux de parler ici de la « réanimation » de ce
jeune plutôt que de sa « résurrection ».
Là l’homme fait l’expérience de sa faiblesse et de la précarité de
son existence, il fait aussi l’expérience de la puissance de Dieu, plus forte
que la mort. Nos lamentations et nos interrogations sont vaines face à la mort,
vaines aussi nos paroles de réconfort et de compassion. Les deux mères de la
première lecture de l’évangile ont perdu leur plus cher trésor en la personne
de leur enfant, et nul ne peut rien pour elles, sauf Dieu. La prière d’Elie
sera vaine également, si elle ne suscitait pas cette merveilleuse réponse
divine du souffle vivant et vivifiant. Elie s’efface devant le prodige, et la
femme a compris quelle en est la source : « Maintenant je sais que tu
es un homme de Dieu ». Bien plus qu’un homme de Dieu et bien plus grand
qu’un prophète, Jésus, le propre Fils de Dieu, dit : « Jeune homme,
je te l’ordonne, lève-toi et marche ! ». Qui aurait l’audace de
commander la mort, sinon Dieu ? Sa compassion pour la mère anéantie n’a
pas été une simple sympathie humaine, comme celle de la foule. C’est un amour
puissant et agissant qui annonce déjà la vraie résurrection, au matin de
Pâques.
Le miracle de la proximité de Jésus se poursuit, aujourd’hui encore,
chaque fois que, très contrètement, nous devenons capables de cette communion
dans la souffrance, comme Jésus. Alors la Parole de Vie peut y faire toute son œuvre
et faire revenir à la vie et à l’espérance.
AMEN.
Michel Steinmetz †
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire