Vous vous rappelez comme moi les Litanies de la
Sainte Vierge, récitées souvent à la suite du chapelet. C’est une série
impressionnante de vocables par lesquels nous nous adressons à Marie, en lui
demandant de prier pour nous. Parmi ces invocations, il y a celle-ci : « Arche
d’Alliance ». Que bien signifier ce titre, appliqué à la Sainte Vierge. En
regardant de plus près, j’ai constaté que le récit de la visitation était tissé
d’allusions au transfert de l’Arche à Jérusalem par le roi David.
L'Arche était ce coffret de bois précieux, muni
de barres dorées pour le transporter, et qui contenait les tables de la Loi.
Dieu lui-même avait donné ses commandements à Moïse qui les avait gravés sur
des tables de pierre. Par le don de ces préceptes, Dieu faisait alliance avec
son peuple. Pendant longtemps, l’Arche séjourna à Silo sous une tente, comme c’était
le cas dans le désert après la rencontre avec Dieu au Sinaï. David résolut de
la ramener à Jérusalem pour la placer sur la colline de Sion. Au second livre de
Samuel, on nous raconte que « David se leva et partit pour Baala en Juda
pour en faire monter l’Arche de Dieu ». Dans la Visitation, nous avons vu
que « Marie se leva et partit dans la montagne vers une ville de
Juda ». On s’arrête à Edom dans la maison d’Aved. Celui-ci s’écrie : « Comment
l’arche du Seigneur entre chez moi ? ». Dans la Visitation, c’est
Elisabeth qui s’étonne : « Comment ai-je cet honneur que la mère de
mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? » Remarquons que l’Arche s’arrête chez
Aved à Edom et y reste trois mois, comme Marie entre dans la maison de Zacharie
et y reste trois mois. Avant de faire entrer l’Arche d’Alliance dans Jérusalem,
David, quelques mille ans auparavant, l’avait fait transiter dans une ville de
la montagne de Judée, exactement comme dans notre texte, et l’avait confiée à une
vieille famille de prêtres, exactement comme dans notre texte, afin de mieux se
préparer à la recevoir dans une joie digne de l’événement. Il faut encore
ajouter un autre rapprochement : la joie du peuple hébreu et celle de David
dansant devant l’arche mise en parallèle avec celle d’Elisabeth et de
Jean-Baptiste à l’approche de Marie.
Il y a bel et bien une continuité entre l’ancienne
alliance et celle que le Messie Jésus va inaugurer. Ainsi la montée vers
Jérusalem de l’Arche qui contenait les paroles de la Loi, trouve la plénitude
de sa signification lorsque Marie, nouvelle Arche, portant en elle le Verbe
fait chair, va vers la Judée dans la maison du prêtre Zacharie, celui qui
officia dans le Temple. L’aboutissement s’accomplira parfaitement lorsque Jésus
montera vers Jérusalem pour y être « élevé », sa mère se trouvant
alors au pied de la croix.
Jésus, encore porté par Marie, n’est-il pas
- nous suggère Luc - la nouvelle Arche d’Alliance avant qu’elle n’entre à Jérusalem
? Jean-Baptiste ne refait-il pas ici les mêmes gestes que David bondissant de
joie devant l’Arche ? Ne sommes-nous pas invités à nous préparer à recevoir le
Christ pour ce qu’il est, roi d’une Jérusalem nouvelle, avant même son entrée à
Jérusalem et avant même que sa mission ne soit réalisée ? Mais l’évangéliste
pousse encore plus loin la subtilité : la bénédiction qu’il met dans la bouche
d’Elisabeth s’adressant à Marie « bénie es-tu entre toutes les femmes » est une
bénédiction toute célèbre que le judaïsme répétait et répète encore chaque
année en souvenir de celle que le peuple hébreu adressa à Judith, cette femme
qui, seule, là où les armées d’Israël avaient échoué, sauva tout son peuple d’un
anéantissement certain. Voilà qui est Marie, explique Luc à ses auditeurs.
Il faut nous préparer à recevoir Jésus pour ce
qu’il est. Il est ce petit enfant fragile comme le représente un peu trop
mièvrement nos crèches mais cet enfant fragile est déjà aussi « celui qui doit
gouverner Israël », comme nous le rappelle la lecture de Michée. Sa puissance
sera de rassembler comme peut le faire le berger. Sa puissance sera aussi de
donner la paix à tous les cœurs meurtris par les blessures de la vie. Que nos
sucreries de Noël ne nous le fassent pas oublier.
AMEN.
Michel
Steinmetz †
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