Nous venons de revivre ensemble une très longue histoire. Une très belle
histoire aussi. Mais cette histoire est aussi notre histoire, celle de notre
vie de baptisés, celle de nos cœurs qui ont besoin de se souvenir pour mieux
croire. Pris dans le tourbillon de la vie, dans un monde qui valorise l’instant
au détriment de la durée, qui promeut un bonheur éphémère en oubliant la valeur
de la vie, nous aurions tendance à devenir amnésiques. Prompts à chercher le
ressenti du moment, à valoriser telle expérience, mais si engourdis à discerner
l’œuvre patiente, discrète mais réelle de Dieu au cœur de notre histoire
personnelle. Nous serions guettés par un relativisme qui nous ferait devenir la
mesure, la jauge, de notre propre ressenti. Et vous connaissez bien les
symptômes d’une telle maladie spirituelle, celle communément partagée par tous
les adolescents – ils ne m’en voudront pas ! :
« j’aime ! », « j’aime pas ! », « pas
envie », « pas motivé », « c’est cool… ou pas cool ».
Or, si l’on veut être un tant soit peu sérieux, nous savons que
l’histoire humaine, et ô combien plus l’histoire sainte, ne peut s’appréhender
avec de tels pseudo-concepts. Pas plus que des enquêtes d’opinion, ou des
majorités médiatiquement orientées, ne sauraient rendre compte du réel.
L’Eglise qui prie et qui croit nous donne précisément une méthode pour nous
rendre compte de l’action de Dieu. Cette méthode n’est pas nouvelle. Face aux
disciples d’Emmaüs désemparés, aveuglés par leur chagrin sur la route qui leur
fait quitter Jérusalem, Jésus, qu’ils ne reconnaissent pas, va se faire un
pédagogue. Le Ressuscité lui-même s’inscrit dans la foi d’Israël qui sans cesse
a relu le passé et les hauts-faits de Dieu pour mieux comprendre son présent et
s’ouvrir à l’espérance. Ce que Dieu a fait pour nous, nous pouvons en vivre et
nous sommes sûrs qu’il se montrera encore à notre égard aussi magnanime de
libéralité et de bonté.
Après être entrés dans cette église à la suite de la fragile flamme du
cierge pascal, nous avons pris un bon temps pour ré-entendre le récit des
merveilles du Seigneur. En créant le monde par amour, il s’est réjoui de tout
ce qu’il avait fait : « cela était bon » ; cette création
marquée par le péché serait recréée et menée à son achèvement la résurrection
de Jésus. Abraham nous était ensuite présenté comme le modèle du croyant :
le sacrifice d’Isaac portant lui-même le bois de la croix anticipait celui du
Christ montant au Golgotha. Le Dieu fort sauvait ensuite son peuple de
l’oppression : le passage par les eaux de la Mer rouge apparaissait comme
l’annonce de notre propre passage dans les eaux du baptême. Le prophète Isaïe,
ensuite, chantait la miséricorde du Seigneur que notre péché n’arriverait pas à
fatiguer. Le même Isaïe nous conviait ensuite à « chercher le Seigneur
tant qu’il se laisse trouver » (Is 55) : c’est là le propre de notre
vie chrétienne, en chacun de ses instants. Baruc, évoquant la Sagesse de Dieu
« qui a vécu parmi les hommes » (Ba 3), nous faisait la reconnaître
en Jésus, le Verbe de Dieu fait chair. Terminant cette longue évocation, le
prophète Ezékiel rappelait l’Alliance de Dieu envers nous, une alliance source
de vie qui nous communique l’Esprit du Seigneur. A chaque lecture, nous avons
répondu par un psaume : une parole de Dieu, par lui donnée, pour répondre
à sa propre parole. Voilà que nos cœurs, instruits par la méditation priante de
cette histoire sainte, étaient prêts à faire résonner le chant du Christ, Celui
qui illumine de tout l’éclat de sa gloire, l’ensemble de ces vieilles paroles.
Tout ce qui était annoncé, attendu, espéré, tout cela s’accomplit aujourd’hui
pour nous dans la résurrection de Jésus. « Si donc par le baptême qui nous
unit à sa mort, nous avons été mis au tombeau avec lui, c’est pour que nous
menions une vie nouvelle, nous aussi, comme le Christ qui, par la
toute-puissance du Père, est ressuscité d’entre les morts » (Rom 6).
Aurélia, avec Lila, vous avez écouté comme nous cette longue et grande
histoire d’une promesse de Dieu jamais démentie, mais aujourd’hui accomplie
dans le Christ. Votre histoire, comme chacune de nos histoires, est parfois
évidente, parfois chaotique. Il est rassurant de savoir que ce Dieu qui est le
nôtre n’est pas le Dieu d’un instant, versatile, impatient. Il n’est pas celui
du zapping. Il est le Dieu qui prend patience, qui persévère en nous, qui croit
en nous. Il est un Dieu qui tient promesse. Voilà pourquoi, maintenant, nous ne
craignons d’unir notre vie à sa Pâque. Il nous précède en Galilée. En
route !
AMEN.
Michel Steinmetz †
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