Le Christ est
paradoxalement grand quand il s’abaisse. Il tient sa gloire de l’amour qui le
pousse à « prendre la condition de serviteur » (Ph 2). Au moment
d’entrer dans sa Passion, Jésus explique par deux gestes le sens de tout ce qui
va advenir. Il résume de manière saisissante l’ensemble de son enseignement, de
l’annonce du Royaume à venir, des miracles accomplis sur les routes de
Palestine. Deux gestes qui prépareront le cœur, encore lent à croire, des
disciples pour qu’ils puissent le reconnaître, Ressuscité, et s’en faire les
témoins. Deux gestes qui ne pourront se comprendre que par l’amour qui les
préside. Deux gestes encore qui supposeront, pour les recevoir, la communion –
c’est-à-dire la participation – à sa mort pour avoir part à sa résurrection.
Ces deux
gestes, quels sont-ils ? Ce sont ceux que la liturgie nous donnent de
célébrer ensemble ce soir et qui marquent, pour nous aussi, notre entrée dans
le mystère pascal. Le lavement des pieds, tout d’abord, et l’institution de
l’eucharistie ensuite.
Au cours de
ce dernier repas, et alors que le démon est déjà à l’œuvre, que les forces du
mal et de la mort se liguent pour le vaincre, Jésus « se lève de table,
dépose son vêtement, prend un ligne qu’il se noue à la ceinture » (Jn 13).
Il passe devant chacun des apôtres, se met à genoux devant eux et leur lave les
pieds. Ce geste inouï, celui de l’esclave devant son maître, suscite
l’indignation de Pierre, le premier d’entre eux. Comment lui, leur Seigneur et
Maître – nous le chantions en entrant dans la célébration tout à l’heure,
comment Lui pourrait-il s’abaisser ainsi ? Ce soir, il ne leur est pas
donné de comprendre ce geste. Il leur faut seulement en garder le souvenir.
Demain, au pied de la croix, bouleversés et effrayés, ils commenceront à saisir
la folie de cet amour qui renverse tous les schémas des bien-pensants. Ce soir,
il ne nous est peut-être pareillement impossible de consentir à nous abaisser
de la sorte, alors il nous faut aussi nous souvenir que cet amour-là nous
sauve. Si le Christ consent à s’abaisser devant chacun de nous, comment ne pas
en faire autant ? Avec le lavement des pieds, Jésus pose un geste
d’hospitalité. Laver les pieds de chacun des douze, c’est inviter ses disciples
à entrer dans ce même mystère. Jésus offre l’hospitalité à ses douze disciples
à l’intérieur du mouvement de dépouillement unique chemin vers le Père. Jésus
ne leur a pas lavé les mains mais les pieds, ces pieds de missionnaires qui
porteront, s’ils y consentent, la bonne nouvelle à travers le monde. Leur
décision d’aller par le monde entier au nom de Jésus passera par leurs pieds,
ces pieds que Jésus a lavés. « C’est un
exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait
pour vous ».
Ce geste et celui
de la dernière Cène dont nous venons d’entendre le récit dans la lettre aux
Corinthiens nous parlent du même mystère : avant qu’on ne mette la main sur
lui, Jésus offre librement sa vie dans un mouvement d’abaissement,
d’humiliation, de kénose qui le conduit à la croix. Enlevant son vêtement,
Jésus manifeste une dépossession de soi en vue du Royaume. Quand il rompt le
pain, il donne le signe de son corps qui sera partagé, disloqué dans ses
jointures sur la croix. Sa vie est désormais arrivée à son accomplissement.
Quand il se donne tout entier, quand il est prêt à verser son sang pour nous,
apparaît sa toute-puissance. Aux yeux du monde, cela passe pour un échec. Avec
les yeux de la foi, celle qui nous fait proclamer avec joie et fierté « la
mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il revienne » quand nous mangeons ce pain
et buvons à cette coupe, nous comprenons mieux qu’une vie toute donnée est une
vie plus forte. Une vie plus féconde, plus généreuse, plus épanouie.
Jésus, entraîne-nous dans ton amour déraisonnable. Apprends-nous à aimer comme tu nous
as aimés. Apprends-nous à communier à ta vie dans le don de notre propre vie.
AMEN.
Michel
STEINMETZ †
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