Il y a en effet quelque
chose de beau et de pathétique dans ces deux figures de Siméon et d’Anne, fille
de Phanuel. Leur ténacité dans la prière
et dans l’attente du Sauveur a quelque chose d’à la fois d’admirable et d’ambigu. Est-ce de la fidélité ou de l’entêtement ? On
les connaît, ces personnes qui s’accrochent à un fol espoir alors qu’avec un
peu de bon sens ils pourraient se rendre compte que c’est bien inutile. Cela peut prendre des formes dramatiques,
comme ces personnes qui attendent vainement le retour de leur bien-aimé à
jamais disparu, ces personnes qui croient obstinément en la fidélité de leur
conjoint volage et lubrique, ces personnes qui guettent pendant des années une
promotion inaccessible. Et nous, est-ce
de la fidélité ou de l’entêtement, ces misérables petites images de Dieu
auxquelles nous nous raccrochons comme des naufragés le font avec leur bouée ?
Est-ce de la fidélité ou de l’entêtement, ces petites intuitions de foi que
nous serrons dans nos mains comme l’avare s’agrippe à sa cassette d’or ? Tout
cela est enfoui dans notre cœur, dur, sec, mort. Nous les avons étranglés de nos mains avides.
Des paroles de vie sont devenues des paroles de mort. C’est comme ces grands slogans lancés lors
des révolutions libératrices : liberté, patrie.
La barbarie a souvent succédé à l’ivresse de la libération. Si Siméon et Anne ont pu rester aussi
longtemps dans l’attente et la prière, c’est parce qu’ils ont eu le courage de
renoncer à de bien belles images de Dieu pour être capables de reconnaître le
Sauveur dans un nourrisson. Un enfant
qui sauverait Israël ! Un enfant que le moindre rhume, la plus petite grippe
pourrait emporter ! Un enfant qui, dans quinze ans, commencerait à se droguer
et à vingt ans commencerait à voler pour se payer son cannabis ! Quelle
profondeur de regard devait avoir Siméon et Anne pour découvrir dans ce bébé
braillard le Sauveur du monde ! Ils avaient renoncé à la gloire d’un libérateur
fort, viril, brutal pour découvrir la force invincible de l’amour qui perce les
pires carapaces. Et c’est peut-être cela
la libération que le Christ peut nous apporter, la libération de nous-mêmes, de
nos fausses certitudes, de nos mortelles convictions. Il ne nous reste plus qu’à apprendre à faire
comme Siméon et Anne : à guetter dans les yeux de notre voisin l’immense amour
que Dieu y a déposé. Alors nous serons
vraiment libres de nous-mêmes pour n’être plus qu’admiration devant l’œuvre de
Dieu.
AMEN.
Michel STEINMETZ †