Les
Béatitudes entendues ce matin dans l’évangile de la messe nous annoncent un
monde différent, où la logique de Dieu l’emporte sur la logique des hommes.
Enfin, les choses seront renversées : les petits, les exclus, les
souffrants deviendront riches du Royaume de Dieu. Tout en cette vie n’aura pas
été vain. Mais qu’en est-il aujourd’hui pour nous ? Que reste-t-il de ces
affirmations lapidaires. Elles annonçaient un règne de bonheur et nous
continuons de vivre dans un monde déchiré. Ce règne de bonheur devait
s’engendrer à partir de la pauvreté et des larmes et c’est bien la souffrance
et l’inégalité qui perdurent et elles n’engendrent que le chaos. Il faut se
dire avant tout que c’est le même constat d’échec apparent que firent les
premières communautés chrétiennes après la mort de Jésus.
A
quoi d’ailleurs servirait la parole de Dieu si elle n’était que le miroir
rassurant de nos vues à court terme et de nos égoïsmes ? Les Béatitudes
nous disent que celui qui s’ouvre à Dieu sera toujours persécuté. Ce qu’il y a
dans le monde d’impur, de perverti, luttera toujours contre le Bien. Ce combat
est la condition du Royaume. Cette tension est le signe que le Royaume est bien
là et que le monde s’y oppose.
Si
vous souffrez du mal dans le monde, la parole de Dieu nous dit : vous
êtes les élus du Royaume et c’est à vous que s’adressent ces béatitudes. Le mal
n’aura pas le dernier mot. Il n’en sera pas toujours ainsi. La Résurrection du
Christ vous assure de la victoire finale. La possibilité de vivre, un temps
soit peu, cette foi en une telle parole n’est due qu’à la Résurrection du
Christ, qu’à l’Esprit de Dieu en nous, qu’à la grâce de notre conversion à
Dieu. Le mal du monde ne peut se supporter que dans la foi. Le deuil du monde
ne peut se vivre que dans un grand amour. Pour l’évangile, il est certain que
le Paradis n’est pas pour cette terre. Mais, les Béatitudes nous disent aussi
que l’abandon de nos illusions ne signifie pas nécessairement le triomphe de
nos afflictions. Face à nos malheurs accablants, ces fractures magistrales du
monde, les Béatitudes proclament un Dieu qui veut faire de nous des
Vivants !
Comment
? La grande leçon des Béatitudes, selon saint Luc, c’est face au mal, aux
inégalités, aux injustices, un appel afin de retisser toutes les solidarités
possibles entre nous, précisément à partir de nos expériences communes de
douleurs et d’échecs. Ce Royaume de félicité, dont il est question dans les
Béatitudes, à vous de l’établir ici-bas par tous vos efforts de solidarité. Cet
appel des Béatitudes à nous sentir solidaires les uns des autres rejaillit sur
ceux qui sont dans la tristesse et que nous portons dans la prière cette
après-midi en nous rendant, tout à l’heure, au cimetière. Vous connaissez la
souffrance vive de la perte d’un être cher, sachez que, humblement mais
réellement, la prière d’une communauté vous porte et vous porte avec votre
tristesse vers le Père de toute consolation. La solidarité des Béatitudes
réaffirme encore notre communion avec tous ceux qui cherchent et ont cherché
les traces du Royaume de Dieu dans leur vie terrestre. Tous sont vivants en
Dieu : nous qui sommes encore là et qui avançons comme à tâtons, et ceux
qui, déjà, découvrent qu’ils n’ont pas cherché en vain. Nous les pleurons mais
ils sont pour nous une cause de réconfort et une occasion de joie.
Les Béatitudes
nous invitent à réveiller en chacun de nous le désir de Dieu. Elles nous
disent : « Nul bonheur n’est entier s’il n’est partagé. » Nos
frères et sœurs les saints partagent ce bonheur avec nous. Nos frères et sœurs
défunts qui entrent dans la lumière de Dieu et la découvrent nous invitent à la
joie.
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