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jeudi 28 février 2008

Du caractère baptismal et ecclésial de la Confirmation - article à paraître in "Caecilia" N°3 / 2008

Du caractère baptismal et ecclésial de la Confirmation

Nous entendons nous situer dans la même dynamique que celle des articles précédents sur le baptême et la première réception de l’eucharistie, à savoir l’initiation chrétienne. Pastoralement, le sacrement de confirmation pose souvent problème tant par la tranche d’âge des jeunes auxquels il est habituellement destiné, tant par le nombre restreint de personnes qu’il touche encore. Pourtant, son importance est capitale puisqu’il conduit à la maturité spirituelle du croyant.

Contrairement à la première communion qui ne distingue pas, rituellement parlant, de la célébration « ordinaire » de l’eucharistie, la confirmation, quant à elle, dispose d’un rituel spécifique avec une forte dimension ecclésiologique. Vatican II rappelle sa place fondamentale dans l’initiation chrétienne, et donc aussi le lien de la confirmation au baptême et à l’eucharistie.
Nous commencerons par apporter à la question un éclairage historique en interrogeant les pratiques multi-formes des premiers siècles, puis nous tenterons de dégager les insistances théologiques qui colorent le rituel actuel. Enfin, nous serons en mesure, tout en posant les questions pastorales propres à notre époque, d’esquisser quelques pistes de réflexion et de mise en œuvres, la musique n’existant toujours que dans l’acte même de « muzisieren » !

I. – L’organisation du rituel de l’initiation

Lorsque le rituel baptismal s’est organisé, il a pris des formes sensiblement différentes selon les Eglises. Domine cependant l’idée d’une unité substantielle de l’ensemble des rites qui font l’initiation chrétienne.

1) Un rite d’eau pour entrer dans l’Eglise.
Dès les origines, c’est par un rite d’eau que l’on entre dans l’Eglise. Paul l’atteste déjà (cf. Rm 6,3). La Didachè[1], le texte le plus ancien que nous ayons en dehors de la Bible, et saint Justin[2], au milieu du IIème siècle, mentionnent aussi le baptême d’eau : il n’est nullement fait mention d’une quelconque onction d’huile. Les candidats au baptême recevaient un enseignement sur la doctrine et la manière de vivre des chrétiens et passaient par une préparation marquée par le jeûne et la prière. On ne peut encore parler de « catéchuménat » organisé. Par contre, à partir de la fin du IIème siècle, et en raison de l’expansion du christianisme et de l’affluence des candidatures, se structure une démarche d’accession à la foi. Celle-ci sera rythmée par des jeûnes, des enseignements, des exorcismes, des célébrations symboliques durant lesquelles le symbole de la foi et le Notre Père seront confiés aux catéchumènes pour qu’ils se les approprient.

2) L’usage de l’huile.
L’usage de l’huile est attesté dans la célébration du baptême à partir du IIIème siècle. Certaines Eglises ne semblent connaître qu’une seule huile – elle serait odoriférante pour les Grecs – tandis que d’autres évoquent une « huile d’exorcisme » différente de « l’huile d’action de grâce ». A Jérusalem, on pratique une onction avant le baptême afin de « faire fuir toute trace d’énergie diverse ». A Antioche, on utilise une huile parfumée pour une onction unique avant le baptême : ce rite paraît très étroitement lié à l’immersion. L’onction développe la symbolique de l’élection par l’Esprit-Saint, mais elle est en même temps source de guérison et de purification qui ne produit son effet qu’au contact de l’eau baptismale.


3) Les rites complémentaires du baptême.
Diverses Eglises développent des rites post-baptismaux, « compléments » du sacrement. L’Afrique connaît une onction, correspondant à une consécration, et une imposition de la main. Ambroise cite une onction par l’évêque après le baptême dans l’Eglise de Milan. A Rome, par contre, la Tradition apostolique rapporte deux onctions distinctes après le baptême, séparées par une imposition de la main et suivies d’une signation[3] : l’une est faite par le prêtre, l’autre par l’évêque. Ce dernier fait la signation avec les doigts encore imprégnés d’huile. L’onction est attestée en Espagne dès le IVème siècle et, en Gaule, à partir du Vème ; il en va de même pour l’imposition de la main. La pratique des Eglises d’Orient est tout aussi diverse. Renaître de l’eau et de l’Esprit et recevoir l’Esprit-Saint sont deux dimensions de l’initiation chrétienne enracinées dans le mystère de Pâques-Pentecôte et présentes dans les rituels depuis le IIIème siècle. En Occident, le don de l’Esprit est célébré après le bain baptismal par l’imposition des mains, l’onction d’huile et la signation. L’onction se réfère à la descente de l’Esprit-Saint sur le Christ après son baptême et à son interprétation dans le Nouveau Testament : « Dieu l’a oint de l’Esprit-Saint » (Ac 10, 38), ce qui présente le Messie comme accomplissant la mission de ceux que l’Ancienne Alliance consacrait par une effusion d’huile : les prêtres, les prophètes et les rois. Double expression d’un même mystère qui a sans doute contribué, à Rome, à introduire deux onctions post-baptismales différentes. Le « sceau » qui, en marquant le front du signe de la croix, indique une prise de possession du Christ, va peu à peu se combiner au geste de l’onction, le chrême parfumé symbolisant par ailleurs la participation à la bonne odeur du Christ.


4) La dissociation baptême / confirmation.
Les Eglises latines célèbrent de manière distincte, au moins depuis le Vème siècle, le baptême et la confirmation : l’usage consiste à réserver à l’évêque le deuxième élément de l’initiation, s’il n’est plus présent au baptême, ce qui tend à devenir le cas habituel.
La « confirmation » ne connaît pas d’évolution majeure dans les siècles suivants, si ce n’est qu’elle deviend l’exclusive de l’évêque. Disparaît aussi progressivement de l’imposition de la main au profit d’une imposition de deux mains vers l’ensemble des confirmands : il faudra attendre Benoît XV au XVIIIème siècle pour que soit réintroduit le geste ancien et individuel de poser la main sur la tête de chacun. En France, dès le XVIIIème siècle, l’usage était de célébrer la confirmation après la première communion ; hors, partout ailleurs, elle était restée le deuxième moment de l’initiation, l’eucharistie en étant considérée comme le sommet. Pie X, en 1910, avance la première communion à l’âge de raison : dès lors le jeune accédait à l’eucharistie avant d’être confirmé. Avec le Code de droit canonique de 1917, la tendance semble à nouveau s’inverser avec la prescription de confirmer vers l’âge de 7 ans !

II.- La théologie du rituel de 1971.

Faisant suite à la demande du Concile Vatican II de revoir l’ensemble des rituels, celui de la confirmation a été rénové afin de « manifester plus clairement le lien intime de ce sacrement avec toute l’initiation chrétienne »[4].

1. Brève présentation des rites.
Trois configurations sont prévues pour la célébration de la confirmation : dans le cadre de l’initiation des adultes, en lien avec celle des enfants en âge de scolarité et enfin pour ceux qui ont été baptisés enfants. Dans les deux premiers cas, la confirmation prend place au sein de l’eucharistie baptismale qui comporte notamment déjà la profession de foi baptismale. Dans le dernier cas, elle est habituellement célébrée au cours d’une eucharistie avec des jeunes ayant entre 12 et 18 ans. En voici le déroulement :
- après l’homélie, l’évêque appelle les confirmands, accompagnés chacun de son parrain ou de sa marraine de confirmation,
- puis vient la renonciation au mal et la profession de foi baptismale (comme à la Vigile pascale) ; l’assemblée est alors aussi invitée à dire son adhésion à cette même foi ;
- l’imposition des mains, par l’évêque et les prêtres qui l’entourent, sur l’ensemble des confirmands. Seul l’évêque prononce la prière à l’Esprit-Saint. Cette dernière peut être suivie par un chant à l’Esprit.
- l’onction de Chrême sur le front – par laquelle le sacrement est conféré dans l’Eglise latine[5] - avec les paroles : « N., sois marqué de l’Esprit-Saint, le don de Dieu ».
- puis vient la prière universelle et la messe se poursuit comme à l’accoutumée.


2. Ce que signifie aujourd’hui la confirmation.
Dans la cas du baptême des petits-enfants, le prêtre fait toujours l’onction de Saint-Chrême, rappelant que Dieu les « marque de l’huile du salut », les fait « renaître de l’eau et de l’Esprit » et les intègre à son Corps comme « prêtre, prophète et roi ». Dans les autres cas précédemment cités, seule l’onction de confirmation est faite. Cette dernière intervient toujours en vue du témoignage : « Par le sacrement du baptême, leur lien [celui des confirmands] avec l’Eglise est rendu plus parfait, ils sont enrichis d’une force spéciale de l’Esprit-Saint et obligés ainsi plus strictement tout à la fois à répandre et à défendre la foi par la parole et l’action en vrais témoins du Christ »[6]. Ce texte est repris dans la présentation du nouveau rituel[7] qui ajoute encore : « Par ce don de l’Esprit-Saint, les fidèles sont rendus plus parfaitement semblables au Christ, et ils sont fortifiés de la force de l’Esprit pour rendre témoignage au Christ, afin que le corps du Christ s’édifie dans la foi et la charité »[8]. A la question – légitime – que nous pourrions nous poser en nous demandant ce qu’apporte réellement la confirmation, il faut nous dessaisir quelque peu d’une vision trop scolastique qui fait coïncider une parole, un geste et la grâce du sacrement. Pour les Anciens, la grâce se déployait – réellement – à l’intérieur d’un ensemble de rites. Il importe aujourd’hui de penser la confirmation avec ce souci de l’unité des rites divers qui composent l’initiation chrétienne.

III.- Questions pastorales

Les regards successifs que nous avons pu porter sur la confirmation permettent maintenant de prendre un peu de recul pour tenter d’en discerner les enjeux.

1. La place du sensible
Le recours à l’huile parfumée du Chrême et à l’onction peut nous interpeller sur la place que nous réservons au « sensible » dans nos célébrations souvent fort (voire trop) intellectuelles. A la confirmation, le geste et la matière parlent d’eux-mêmes… encore faut-il que l’onction soit faite avec lenteur et générosité par le confirmateur, que l’huile puisse véritablement marquer le confirmé et son odeur se répandre. Quel sera le récipient qui contiendra le Chrême ? Sera-t-il digne, propre ? Sera-t-il mis en valeur près de l’autel pendant la célébration ? L’apportera-t-on dans la procession d’entrée, pourquoi pas entouré de cierges ?


2. La place de l’Esprit.
La théologie et la prière occidentales ne font pas vraiment la part belle à l’Esprit, contrairement à l’Orient. La confirmation pourrait rappeler le rôle essentiel de l’Esprit-Saint. Quels chants seront retenus ? Que diront-ils de l’Esprit ? Une hymne à l’Esprit pourra suivre la prière du confirmateur et des chants à l’Esprit accompagner la chrismation.


3. Un enracinement personnel et communautaire.
La confirmation fait se conjuguer la dimension personnelle et communautaire. Personnelle, parce qu’elle marque habituellement la fin de l’initiation chrétienne donc la maturité spirituelle du croyant, renvoie au baptême et prend sens dans l’eucharistie. Parler d'initiation chrétienne, c'est situer ces sacrements dans une même visée. C'est comprendre qu'on ne devient pas chrétien à part entière par le seul baptême, avec la conséquence qu'on cherche alors pour la confirmation un autre but. C'est reconnaître que l'on est fait chrétien par l'entrée dans le mystère pascal en toutes ses dimensions. Ce dernier consiste dans la mort et la résurrection du Christ, mais aussi dans le don de l'Esprit, et encore dans la naissance de l'Eglise. Communautaire ensuite, parce que l’évêque en est le « ministre originaire »[9], que par sa présence il situe le sacrement dans la succession apostolique ; parce qu’encore l’assemblée est partie prenante de la célébration pour entourer les confirmands et fortifier leur foi. On sera alors attentif à la formulation des chants : il serait heureux que ce côtoient et se mélangent des « je » et des « nous » pour signifier l’Eglise.


4. La mission
Si la confirmation correspond au don spécial de l’Esprit pour le témoignage, le croyant participe dès lors à la mission même de l’Eglise : il s’inscrit dans le va-et-vient d’une eucharistie à la fois source et sommet de l’existence chrétienne, traduisant en acte la grâce reçue et s’en nourrissant. Dans la célébration, la présence de croyants engagés dans les « œuvres », les services caritatifs, est importante. On sera de même attentif au temps de l’envoi : un chant pourra accompagner une procession de sortie jusque sur le parvis, l’ensemble de la communauté suivant la procession liturgique en chantant…

Le modèle de l'initiation chrétienne est subtilement agencé ; le baptême et la confirmation ne sont célébrés qu'une fois, nous branchant au long de notre existence. Mais l'eucharistie, elle, se répète. On est donc fait chrétien par deux actes irréitérables, et par un troisième qui nous introduit dans la durée. Ce qui a été réalisé une fois pour toutes, à la racine de nous-mêmes, doit prendre corps tout au long de notre existence, dans les diverses circonstances qu'elle va nous faire vivre. Tel est l’enjeu de l’initiation chrétienne.


[1] Didachè, 7, 1-4.
[2] Justin, 1ère Apologie, 61, 2-3.
[3] On entend par signation le fait de tracer le signe de la croix, ici, sur le front de la personne.
[4] Sacrosanctum Concilium, N° 71.
[5] Déclaration de Paul VI.
[6] Vatican II, Lumen Gentium, N°11.
[7] Paul VI, Constitution apostolique, Divinae consortium naturae, 15 août 1971.
[8] Rituel de la Confirmation, Orientations, N° 6.
[9] Vatican II, Lumen gentium, N° 26.

vendredi 22 février 2008

Homélie du 3ème dimanche de Carême (A) - 24 février 2008


Aujourd’hui, ce sont à la fois les thèmes de l’eau vive et de la foi qui sont abordés, tant dans la première lecture que dans l’Evangile. Plus encore que de les aborder, l’Ecriture les associe : l’eau vive devenant une allégorie de la foi vivante. La liturgie a gardé ces textes à cette période du Carême, où les catéchumènes se préparent à recevoir, de manière plus ardente encore, le baptême durant la nuit pascale.
Depuis les premiers siècles de l’Eglise, ces textes font partie de la catéchèse baptismale : nous les entendons aujourd’hui au même moment où les entendaient nos frères croyants il y a mille six cent ans déjà ! Deux grandes figures s’y présentent, qui manifestent l’universalité du salut : Moïse, avec qui les juifs sont en famille, et la Samaritaine, qui ouvre aux païens les fleuves d’eau vive.
Nous sommes nous-mêmes baptisés et ce Carême nous invite fortement à revenir à la grâce de ce baptême. Les textes de l’Ecriture qui sont donnés à notre méditation voudraient nous faire prendre comme un nouveau départ dans notre vie chrétienne, nous ouvrir à une nouvelle régénération, comme celle que vivront les baptisés de Pâques. Alors, oui, j’ose poser la question : qu’avons-nous fait de notre baptême ?

I.- Le peuple élu et la Samaritaine : deux modèles différents.

Dans la première lecture, le peuple a soif et a peur de mourir au désert. Il récrimine contre Moïse, et par lui, contre le Seigneur : « Pourquoi nous as-tu fait monter du pays d’Egypte ? Etait-ce pour nous faire mourir de soif avec nos fils et nos troupeaux ? ». Moïse ne sait plus que faire. Dans quelle galère s’est-il laissé embarquer ? « Que vais-je faire de ce peuple ? Encore un peu, et ils me lapideront ! ». Mais le Seigneur fortifiera le bras de Moïse : « Moi, je serai là, devant toi, sur le rocher du mont Horeb. Tu frapperas le rocher, il en sortira de l’eau et le peuple boira ! ». Le peuple, cependant, doute : « Le Seigneur est-il vraiment au milieu de nous, ou bien n’y est-il pas ? ».
Dans l’Evangile, c’est Jésus qui a soif et qui veut avoir besoin d’une Samaritaine. Il rompt toute convenance sociale : les juifs, en effet, sont farouchement opposés aux Samaritains qu’ils considèrent comme des gens non fréquentables. Il vient à la rencontre de cette femme et engage le dialogue : « Donne-moi à boire ». Très vite, il retourne le propos : « Si tu savais le don de Dieu, si tu connaissais celui qui te dit : ‘Donne-moi à boire’, c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive ».
Dans un cas, le peuple juif attend son salut et vitupère contre Dieu ; dans l’autre, la femme de Samarie n’attend rien, ne demande rien et reçoit tout.

II.- Des différences, mais pourtant le même Seigneur dans la même foi.


Dans la première lecture, c’est le Dieu de nos pères, Dieu de la première alliance qui fait jaillir du rocher l’eau vive pour la survie du peuple : l’aurait-il donc délivré de l’oppression de Pharaon pour le laisser périr au désert avant même d’avoir tenu sa promesse et de l’avoir conduit en Terre promise ? Dans l’Evangile, c’est le propre Fils de Dieu qui en s’adressant à cette femme se révèle à la fois à elle et lui promet une eau jaillissante de vie éternelle. « Tout homme qui bot de cette eau aura encore soif ; mais celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; et l’eau qui je lui donnerai deviendra en lui source jaillissante pour la vie éternelle ». La femme répond curieusement, mais qu’aurions-nous fait à sa place ? Elle attend de cette eau, sans vraiment saisir toutefois la portée des paroles de Jésus ; elle se réjouit ainsi de ne plus avoir à venir puiser! Mais lui ne parle pas de cette eau-là ! C’est bien le même Seigneur qui agit, sous des modalités différentes. C’est bien la même foi, bien que s’exprimant diversement, qui agit.
Et c’est encore la même expérience de rencontre qui s’opère : celle de la tendresse, de la bonté, de la sollicitude du Seigneur pour nous. Cette rencontre est à chaque fois transformante : elle remet en marche, ouvre des perspectives nouvelles pour une existence aux horizons parfois bouchés. Plus encore, elle s’accompagne d’une attitude spirituelle. Advient le temps annoncé par Jésus : « L’heure vient – et c’est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père. »
S’ensuit alors une confession de foi, aux allures de cri jailli du fond du cœur, évidence qui s’impose à la femme de l’Evangile, comme elle pourrait s’imposer à nous aujourd’hui : « Je sais qu’il vient, le Messie, celui qu’on appelle Christ. Quand il viendra, c’est lui qui nous fera connaître toutes choses ». Confession de foi immédiatement confirmée par Jésus : « Moi qui te parle, je le suis ». Le Dieu de l’Alliance prend désormais un visage humain, celui de Jésus. Son nom devient prononçable sans craindre la mort. Au « Je suis Celui qui suis » du Sinaï succède « Moi qui te parle, je le suis ». La Samaritaine converse avec le Dieu-avec-nous, avec Jésus.

Chers amis, en qui nous reconnaissons-nous ? Nous reconnaissons-nous dans le peuple de l’Alliance, dans la figure de la femme de Samarie ? Nous reconnaissons-nous dans la récrimination de l’enfant gâté ou dans la nonchalance du blasé ? Tout compte fait peu importe, finalement. Car que nous venions vers Dieu en attendant quelque chose ou en n’attendant absolument rien, ce qui sera toujours déterminant ce sera notre capacité à nous laisser rejoindre, ce qui sera toujours fondamental ce sera l’expérience de rencontre. Elle seule nous permettra de dire avec la foule de ce jour-là : « Nous savons que c’est vraiment lui le Sauveur du monde ».

AMEN.

Michel Steinmetz +

vendredi 1 février 2008

Homélie du 4ème dimanche du temps ordinaire (A) - 3 février 2008


Les béatitudes sont des cris d’admiration de Jésus pour les gens qui le suivent, collés à lui pour l’écouter. Ils ne se lassent pas de le regarder. Son visage est pour eux une source d’enseignement qu’aucune parole humaine ne saurait donner. L’admiration est le signe de la noblesse intérieure qui crée une ambiance de fraîcheur, d’innocence. Si nous ne quittons pas des yeux Jésus et la foule, nous comprenons mieux cette page de l’Evangile qu’on appelle les béatitudes.
Il n’est pas nécessaire d’être chrétien pour apprécier la fraîcheur de ces mots de bonheur quand ils expriment l’admiration des comportements des hommes et des femmes qui donnent à la dignité humaine une dimension qui dépasse la prudence, l’ambition du gain. Sans oser le dire tout haut, nous avons du mal à comprendre, à accepter la pauvreté, la faim, la soif, ce qui nous fait pleurer comme ce qui fait notre bonheur. Nous savons qu’on a dû réaliser des tours de force d’explications pour se convaincre difficilement que c’est bienheureux que d’être pauvre, d’avoir faim, d’avoir soif. Aux affamés, aux pauvres, aux miséreux que l’on peut voir partout, comment pouvons-nous leur dire qu’ils sont des bienheureux de l’Evangile ?

I. - Les béatitudes ou le sens d’un commandement nouveau.

Douze siècles après Moïse, Jésus propose une nouvelle manière d’envisager les commandements. C’est le paradoxe dont parlait l’apôtre Paul : la sagesse de Dieu n’a rien à voir avec la sagesse humaine. Chaque phrase de l’évangile commence par le mot « heureux ». C’est un mot qui revient très souvent dans l’Ancien Testament. Nous devons l’entendre au sens d’un compliment. D’ailleurs dans la traduction de la Bible, il aurait été plus judicieux de rester plus près au mot hébreu « iashar » qui exprime une exclamation devant quelqu’un plein de dynamisme et de souffle. Quelle force, quel souffle vous anime, vous les humiliés ! Quelle force et quel souffle, vous qui avez faim, vous qui avez soif, vous les miséricordieux, vous les artisans de paix ! Il y a dans cette façon de dire, à la fois l’admiration et la compréhension de ces personnes si démunies qu’elles peuvent nous faire passer au-delà des richesses, des bonheurs de ce monde. Tout est ici dans les nuances des mots. C’est dans le sens que l’admiration que l’on peut dire maintenant la béatitude de l’Evangile sans les choquer, à tous les éprouvés de quelque coin de la terre qu’ils soient. Quelle force, quel souffle vous devez avoir pour être ce que vous êtes maintenant ! Vous êtes en marche vers un monde où la richesse est dans ce qu’on est et non pas dans ce qu’on a. On vous voit dépouillés de tout, et vous voilà heureux !
Souvent nous entendons un texte comme celui des béatitudes par la distance qui nous en sépare. Aujourd’hui, je vous voudrais vous inviter chacun à vous unir à tous ces pauvres pour reconnaître qu’il y a, dans votre vie, des traits de nous-mêmes pour lesquels le Christ nous félicite. Posez-vous la question : quel est le trait de vous-même où ces paroles vous ont rejoint ? Par quel trait portez-vous une certaine ressemblance avec le Christ ? C’est cela que Jésus disait, ce jour-là, sur la montagne :
Vous qui avez un cœur de pauvre, oui je vous félicite. Bravo, car vos richesses, comme vos manques, vous en faites un moyen de rencontre et de fraternité. Vos richesses, vous n’en êtes pas esclaves.
Et vous qui êtes doux et humbles de cœur, bravo. Vous ne cherchez pas à dominer, à prendre le pouvoir. Vos responsabilités sont un moyen de servir et de servir la liberté des autres.
Et ceux d’entre vous qui êtes compatissants, miséricordieux, bravo à vous. Le regard que vous portez sur les autres est empreint de tant de confiance et d’espérance qu’ils redeviennent capables de se mettre debout, de marcher, de parler.

II.- Les béatitudes ou l’invitation à chercher un Dieu qui se laisse trouver.

Il nous faut encore revenir à la foule qui entoure Jésus. Nous sommes là au début de sa vie passée au milieu des hommes et des femmes pour l’annonce de la Bonne Nouvelle. Jésus ne cesse de regarder cette foule qui le suit depuis un bout de temps. Certains se procurent même quelques maigres provisions pour pouvoir le suivre. Oubliant leur condition sociale, quittant leur maison, ils forment ensemble cette foule qui l’écoute, qui le suit là où il va. Jésus voit sur leur visage leur quête de joie, de bonheur, de justice, mais aussi leur inquiétude, leur angoisse qui lui dit combien ils sont déçus, humiliés, désespérés de la vie. Il trouve dans leur regard ce dépouillement, ce vide intérieur qui crie, qui appelle et attend quelque chose de sûr, de plus solide, qui leur réserve plus de dignité humaine. Jésus s’approche d’eux ; il s’approche de nous. Et nous pouvons être félicités de croire que Dieu nous aime tels que nous sommes. Si nous cherchons Dieu, s’il est tout pour nous, alors nous trouverons notre bonheur dans notre quotidien, dans les petites choses, mais si précieuses qui le construisent : la simplicité de la vie, la droiture du cœur, la recherche paisible et quotidienne du Seigneur. La Bible, plus d’une fois, appelle ces humbles chercheurs les humiliés de la terre, le « petit reste » qui seul peut survivre à tous les massacres qui cherchent à anéantir le peuple des croyants. Saint Paul souligne que la jeune Eglise de Corinthe ne comporte pas beaucoup de sages, de puissants ou de nobles – ceux que nous aurions spontanément choisis pour assurer le succès de l’Eglise naissante ; Dieu, au contraire, s’est plus à appeler « ce qu’il y a de fou, de faible, d’origine modeste, ce qui n’est rien dans le monde, afin que personne ne puisse s’enorgueillir devant lui ».

Tel est le nouvel Israël de Dieu ou plutôt le « reste d’Israël » dont le Christ veut faire son Eglise. Cette Eglise ne pourra, ne devra ne s’enorgueillir que d’une chose et d’une seule : comme ce jour-là sur la montagne, Jésus assure sa présence à tous ceux qui en appellent à lui. Cette rencontre avec Lui, c’est la chance de leur vie et de la nôtre. Le dynamisme qui va nous faire reprendre notre route est là : « Le Royaume des cieux est à vous ». C’est ce même dynamisme qui nous pousse à répondre à l’appel du prophète Sophonie : « Cherchez le Seigneur, … cherchez la justice, cherchez l’humilité ».

AMEN.


Michel Steinmetz +