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mercredi 28 mai 2008

Article à paraître in "Caecilia" N°4 - 2008 sur le sacrement du mariage



La théologie du sacrement de mariage et la place de l'assemblée : questions posées à l'animation musicale.


La célébration du mariage chrétien vient d’être renouvelée par la publication d’un nouveau rituel romain en 1991, et par celle de son adaptation en langue française en 2005. Elle s’insère dans la volonté du Concile Vatican II de revoir la célébration des sacrements. Ainsi ce nouveau rituel a-t-il l’ambition d’intégrer à la fois les grandes orientations de la constitution sur la liturgie et la théologie sur le mariage. Aujourd’hui, la mise en œuvre rituelle se trouve confrontée à des défis pastoraux nouveaux au cœur desquels la musique et le chant tiennent une place fondamentale.

La liturgie du mariage chrétien a connu de multiples formes de célébration. Actuellement, les modifications intégrées au nouveau rituel sont pour une bonne part le résultat de la reprise à frais nouveaux de la réflexion sur le mariage au cours du XXème siècle, dont le concile a donné une brève mais dense synthèse[1].

Pour comprendre l’importance du déplacement ainsi opéré, il suffirait de comparer la définition du consentement matrimonial qui est donné respectivement dans le code de droit canonique de 1917 et dans celui de 1983, car le droit de l’Eglise traduit une pensée théologique selon, bien sûr, son langage et objectifs propres. Ainsi, en 1917, la mariage est défini comme « un acte de volonté par lequel chaque partie donne et accepte le droit sur le corps de son conjoint pour l’accomplissement des actes qui par leur nature sont aptes à la procréation des enfants (c. 1081-2) » ; en 1983, par contre, on lit : « l’alliance matrimoniale, par laquelle un homme et une femme constituent entre eux une communauté de toute la vie, ordonnée par son caractère naturel au bien des conjoints ainsi qu’à la génération et à l’éducation des enfants, a été élevée par le Christ Seigneur à la dignité de sacrement (c. 1055-1) ». En saisissant l’importance de l’évolution, on comprend que la liturgie, qui elle aussi traduit une pensée théologique selon ses modalités propres, ait évolué en conséquence : aujourd’hui non seulement l’assemblée est interpellée par ce changement, mais elle interpelle aussi le rituel par sa réalité socio-ecclésiale.
Après un parcours rapide à travers les siècles (I), nous repérerons les endroits névralgiques du rituel (II) et nous le laisserons interroger nos pratiques autant que nos assemblées le feront (III). C’est là que nous verrons comment la musique et le chant peuvent répondre aux défis posés.

I. – Un rituel multiforme


1. Aux trois premiers siècles.
Les chrétiens des premières générations ont vécu leur engagement dans le mariage à lumière de l’enseignement du Christ et des Apôtres. Pour sa célébration, ils se sont conformés aux usages en vigueur dans la société d’alors, dans la mesure où ceux-ci ne s’opposaient pas à la foi de l’Eglise. Diognète dit, au IIème siècle : « Ils se marient comme tout le monde ». Dans le monde romain, la cérémonie des noces avait un caractère essentiellement familial et, pour le droit de l’époque impérial, l’essentiel du mariage tient dans le consentement des époux. Jusqu’à la paix constantinienne, les chrétiens suivent ces usages, tout en prenant de la distance par rapport au caractère sacrificiel ou licencieux de certains rites accompagnant le repas et le cortège des noces. L’Eglise s’est sentie à l’aise avec la conception juridique du monde romain. Il faut attendre le IVème siècle pour trouver la preuve de l’existence d’une bénédiction liturgique ou l’intervention d’un prêtre dans les rites nuptiaux.


2. Du IVème au XIème siècle.
Les trois premiers siècles laissent deviner que la liturgie nuptiale chrétienne va s’élaborer à partir des usages profanes. Il était dans l’ordre des choses que la bénédiction du Christ finît par s’exprimer dans celle prononcée par le père de famille, de l’évêque ou du prêtre invité aux noces, soit à la remise du voile à la jeune femme (à Rome et Milan), soit à son couronnement (en Orient), soit encore dans le rite de l’union des mains ou à l’entrée des époux dans la chambre nuptiale (pour la Gaule, l’Espagne et les pays celtiques). La Bible fournissait d’ailleurs des exemples de prière et de bénédiction pour le mariage. L’Orient retient particulièrement certains psaumes pour la célébration : 18, 20, 44, et 127.


3. En Occident : le mariage à la porte de l’église.
Si le rite du mariage est demeuré identique en Orient depuis le Xème siècle, il n’en est pas de même en Occident. Le XIème siècle a vu transformer en action liturgique la conclusion profane du mariage et l’a placée immédiatement avant la messe, mais à l’extérieur, à la porte de l’église. C’est en raison d’une période de violence et d’anarchie sociale que le prêtre doit désormais assurer les formalités civiles du mariage. On exige alors un caractère public pour préserver la liberté de consentement. Théologiens et canonistes comptent le mariage parmi les sacrements, et rappellent la coutume de le célébrer « sous la bénédiction du prêtre ».


4. Après le concile de Trente.
Le concile de Trente impose, en 1563, sous peine d’invalidité, la « forme canonique », c’est-à-dire la nécessité pour les fiancés de passer devant le curé de leur paroisse en compagnie de deux témoins. Le rite se déroule à l’intérieur de l’église ; les consentements se résument à un « oui » répondant à la question du prêtre ; on trouve la jonction des mains, l’aspersion d’eau bénite, la bénédiction et la remise de l’anneau, quelques versets de psaumes et une oraison conclusive. Ensuite à lieu la messe de mariage avec la bénédiction nuptiale après le Pater et une bénédiction finale spéciale.


5. Vatican II.
Le rituel publié dans la foulée du concile donnait une large place à la proclamation de la Parole de Dieu, qu’il y ait célébration ou non de l’eucharistie, et plaçait la célébration du sacrement après la liturgie de la Parole, tout en reprenant, mais en les enrichissant de prières supplémentaires, les usages anciens.

II.- La théologie du rituel de 1991.[2]

Le rituel du mariage est un trésor, vieux de 1500 ans environ, enrichi des apports des différents âges, et un outil donné pour entrer toujours plus profondément dans l’intelligence du mariage sacramentel. Voici les inflexions majeures qui traversent le nouveau rituel.

1. Une confession de foi plus manifeste.

Le rituel a une dimension plus confessante. En témoigne la proposition de faire la profession de foi avant les questions du dialogue initial et les mentions à la foi de l’Eglise dans l’acceptation et l’éducation des enfants, ainsi que sur l’engagement à témoigner dans le monde de la mission de chrétiens (question facultative). Le sacrement demande une référence explicite avec la foi au Christ mort et ressuscité. Le mariage devient une coopération des époux à l’œuvre de l’Esprit pour que progresse le Royaume.


2. Le mariage comme vocation.
On observe un rééquilibrage entre le consentement des époux et leur consécration par Dieu. Ainsi le mariage est-il perçu comme une véritable vocation. Dieu appelle au mariage et il ne cesse d’appeler dans le mariage[3]. L’engagement des époux est réponse à cette vocation, dont la perspective est eschatologique (c’est-à-dire la fin des temps), comme le souligne une des bénédictions nuptiales : « Donne-leur à tous deux la joie d’être un jour les convives au festin de ton Royaume ».


3. Une consécration.
La bénédiction nuptiale a une importance désormais essentielle, à tel point qu’on peut parler d’une « consécration ». Il s’agit en effet d’une grande prière, semblable à la bénédiction de l’eau baptismale ou même à la prière d’ordination : elle comporte une invocation à Dieu pour le don de l’Esprit et un envoi en mission. Théologiquement, on ne peut plus guère dire aujourd’hui que les époux sont encore les ministres du sacrement…


4. L’Esprit-Saint et l’Eglise.
Par l’importance renouvelée de la bénédiction nuptiale, le rituel clarifie le rôle de l’Esprit-Saint. Cette évolution redonne au sacrement du mariage plus de profondeur spirituelle. L’appel de l’Esprit et la bénédiction des époux sont médiatisés par le ministre qui agit au nom du Christ et de l’Eglise, manifestant la dimension trinitaire et ecclésiale du sacrement.

III.- Questions pastorales

Il s’agit maintenant d’envisager les questions posées à nos pratiques et celle posées au rituel par la réalité de nos assemblées.

1. L’attention au texte
Le rituel accorde une large place à la Parole de Dieu, tant dans la liturgie de la Parole évidemment, que dans les oraisons et bénédictions. Une première attention pourra porter sur le texte des chants retenus : contribuent-ils à mettre en résonance la Parole proclamée ? On évitera de multiplier les thématiques au cours d’une célébration. Comme le célébrant pourra choisir à dessein les textes qui lui reviennent, on pourra retenir les chants qui seront à la fois support et soutien de la Parole.
La place de l’Esprit-Saint est amplifiée dans le rituel : là aussi, quelle sera-t-elle dans les chants ? Un chant de louange – acclamation, hymne ou cantique – est prévu après la bénédiction nuptiale (N° 90 ou 178) ; pourquoi ne pas envisager aussi une courte acclamation d’invocation à l’Esprit avant la bénédiction nuptiale ?
Enfin, il existe des mariages de catholiques avec des chrétiens d’autres confessions (mariage mixte), des personnes non-baptisées (mariage dispar) ou des catéchumènes. Comment le texte des chants pourra-t-il tenir compte de ces réalités pastorales ?


2. L’assemblée comme part du peuple de Dieu.
Le rituel donne une importance nouvelle à la foi de l’Eglise, en ce qu’elle est effectivement annoncée et confessée ! Cette profession de foi touche en premier lieu les futurs époux qui s’engagent dans cette foi, mais aussi l’assemblée réunie avec eux et qui représente une part de l’Eglise entière[4].
« Les chants seront adaptés au déroulement du rite du mariage et exprimeront la foi de l’Eglise, en tenant compte de l’importance du psaume responsorial dans la liturgie de la Parole. Ce qui est dit du choix des chants vaut également du choix des œuvres musicales ». [5]
Or, la réalité des assemblées nous fait souvent constater qu’elles ne sont plus majoritairement composées de pratiquants habituels. Pour beaucoup, la célébration du sacrement n’est vécue que comme un temps festif dans un lieu porteur. On sait la difficulté de proposer le message de foi. Se vit alors une tension entre une dynamique exclusivement faite d’accueil, au détriment d’une annonce explicite de la foi de l’Eglise, et une perspective exclusivement confessante, sans attention portée à la réception du message de fait. Le rituel est clair : il privilégie l’approche nettement chrétienne, mais toujours pastorale ! Les fiancés ont parfois des idées surprenantes sur les chants et les musiques qu’ils souhaitent pour leur mariage : l’enjeu de la préparation sera précisément de les faire entrer, au mois de leur faire saisir, la densité spirituelle du sacrement qui est plus que l’auto-célébration de leur amour !


3. Le chant effectif de l’assemblée.
Pour certains, la célébration chrétienne constitue une immersion dans un monde inconnu, étrange et étranger ! Or l’assemblée est invitée à tenir toute sa place au cœur du mariage et à participer aussi par le chant. Rares ne sont plus les fiancés – parfois même dans le meilleur des cas – qui ne se souviennent que des chants de leur enfance ! Que dire des invités à la fête ? Dès lors, comment penser le renouvellement du répertoire ? Il en va d’une question cruciale, et crucifiante pour celui qui s’y attelle !
Faut-il prendre acte du silence de cette assemblée ? Faut-il s’y résoudre ou tenter de trouver des solutions nouvelles pour susciter son chant ? On peut dire ici qu’il s’agit sans doute d’avoir les ambitions de ses moyens. Il apparaît illusoire de vouloir transformer une telle assemblée en assemblée de pratiquants fervents et réguliers. Par contre, suivant les moyens dont on dispose (un bon chantre, une chorale, un organiste…), on pourra allier les moments d’écoute à ceux de participation. L’écoute supposera donc une exigence de qualité ! Par ailleurs, il faudra privilégier de courts refrains ou acclamations, facilement mémorisables et répétés. Ainsi, l’acclamation d’Evangile pourrait servir de chant de louange après la bénédiction nuptiale, ou une même acclamation d’action de grâce pourrait ponctuer les différents moments de la liturgie du sacrement. Le répertoire de Taizé constitue peut-être un bon fond d’exploration…

Le sacrement du mariage est considéré comme « ordonné à l’accroissement et à la sanctification du peuple de Dieu »[6] ; il consacre un état de vie pour « toute la vie ». Les enjeux de sa célébration sont de plus en plus de l’ordre de défis, y compris pour le domaine musical. A donne pastorale nouvelle, réponse nouvelle ! A partir des inflexions du rituel récemment promulgué en langue française, il est assurément possible de trouver des solutions musicales qui répondront intelligemment à la fois à la proposition de la foi qui est en jeu et à la situation concrète des participants !


[1] Vatican II, Gaudium et spes, 47-52.
[2] Nos remerciements vont à Hélène Bricout, enseignante à l’Institut Supérieur de Liturgie à l’Institut Catholique de Paris, et spécialiste du nouveau rituel, pour son apport à cette réflexion.
[3] cf. Rituel du mariage, Préliminaires N°11.
[4] Le rituel va jusqu’à recommander la participation de la communauté paroissiale, au moins de quelques membres ! (Préliminaires, N°28)
[5] Rituel du mariage, Préliminaires, N° 30.
[6] Rituel du mariage, Préliminaires, N°28.

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