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samedi 31 mars 2007

Notice sur la Prière universelle de la messe - article à paraître in "Caecilia" N°3 / 2007


Plusieurs éléments dans la célébration de la messe sont emblématiques de la réforme conciliaire. Outre la possibilité de recourir à la langue vernaculaire – tout spécialement pour les lectures –, la prière universelle, ou prière commune ou encore prière des fidèles, fait partie de ceux-là. Après quatorze siècles d’absence dans la liturgie latine, et après bien des débats de liturgistes, les Pères du Concile décidaient de la restaurer.

La Prière des fideles semble aujourd’hui, un peu partout, rétablie et bien accueillie dans les communautés chrétiennes. Elle ne fait que rarement polémiquer, au moins sur le fond ! Dans certaines contrées, à l’étranger, il n’est pas rare d’y recourir même en semaine, suivant en cela à la lettre la Présentation Générale du Missel Romain (N°45) qui prévoit de la faire « habituellement aux messes avec peuple ». Il faut néanmoins remarquer que si la prière universelle est devenue familière des célébrations eucharistiques, son texte, parce qu’à réécrire constamment, et sa mise en œuvre, par voie de conséquence, demandent un soin tout particulier.
Puisque les Pères de Vatican II ont décidé d’en restaurer la pratique, il convient tout d’abord de retourner aux sources historiques et d’en saisir le contexte (1). Ensuite, suivant les indications de la PGMR, il nous sera plus aisé de distinguer cinq fonctions essentielles (2). Enfin, forts de ces acquis, nous pourrons envisager successivement des points précis de mise en œuvre et de mise en musique (3).

1. Un retour aux sources.

En matière de liturgie, une des préoccupations conciliaires a été, grâce aux découvertes dues au développement de certaines sciences historiques, de revenir aux sources, tout en pensant la liturgie dans son développement organique et continu. La prière des fidèles est en cela un bon exemple.

A Rome, au milieu du IIème siècle.
Un court traité de saint Justin, connu sous le nom de 1ère Apologie, nous donne une description de la célébration eucharistique à Rome au milieu du IIème siècle[1]. On y découvre qu’après le commentaire de l’Ecriture, les chrétiens ont coutume de faire ensemble, et debout, des prières - que Justin qualifie de « communes » dans la liturgie baptismale où, alors, la communauté entière prie pour les frères, les néophytes et « tous les autres, où qu’ils soient ». C’est ensuite qu’on se donne immédiatement le baiser de paix. L’usage de la prière universelle apparaît, semble-t-il dans toutes les Eglises à cette époque. Dans la célébration, elle est une des prérogatives des fidèles : ce qui explique que les catéchumènes quittent l’église avant qu’elle ne commence.

Les usages au VIème siècle.
En Orient. Elle y prend la forme d’une litanie diaconale constituée de formulaires fixes et rythmée par une réponse adressée au Christ : Kyrie eleison !
En Afrique. Tertullien y fait allusion, mais Augustin l’atteste et termine fréquemment ses homélies en proposant des intentions de prière auxquelles les fidèles s’unissaient en répondant : « Amen ! ».
A Rome. Une forme solennelle subsiste dans notre actuel office du Vendredi-saint : il s’agit d’invitatoires suivis chacun d’un temps de silence (à genoux pendant les temps de pénitence) et d’une oraison s’ouvrant sur l’« Amen » des fidèles.
Le pape Gélase (492-496) introduit l’usage d’une prière litanique avec le répons « Domine exaudi et miserere »[2]. Avant de disparaître de la messe romaine au VIème siècle, la prière universelle a donc connu une autre forme que celle que nous connaissons encore le Vendredi-saint.
En Gaule et en Espagne. On fait état, au VIème siècle toujours, d’une « prière du peuple qui se lit après l’Evangile ». La forme en est peut-être une litanie diaconale conclue, en tout cas, par une oraison prononcée par le président d’assemblée. En Espagne, Isidore de Séville mentionne deux interventions du prêtre qui encadrent les intentions[3].
Au VIème siècle, la prière universelle apparaît bien comme l’aboutissement de la liturgie de la Parole et comme le seuil de l’eucharistie à proprement parler. Elle est un privilège des fidèles et souligne leur caractère sacerdotal.

L’Occident à partir du IXème siècle.
C’est une messe sans prière universelle qui pénètre en Gaule à l’époque carolingienne quand la messe romaine y est adoptée. Se développe à partir du Xème siècle, l’invitation adressée au peuple après le sermon des dimanches et fêtes à prier à diverses intentions en disant un Notre Père à voix basse, auquel le prêtre ajoute une oraison appropriée à chaque demande. Cette coutume s’est répandue à travers le Moyen-Age en Europe, et a été largement encouragée par le Concile de Trente et saint Pierre Canisius au XVIème siècle. Ce sont les « prières du prône ».

2. Cinq fonctions essentielles.

La constitution conciliaire sur la liturgie (1963) et la PGMR permettent aujourd’hui de distinguer cinq fonctions essentielles de la prière universelle[4].

Une fonction sacerdotale. « Dans la prière universelle, le peuple, exerçant sa fonction sacerdotale, supplie pour tous les hommes » (PGMR N°45). Puisqu’ils sont baptisés, les fidèles sont incorporés à la dignité de « prêtre, prophète et roi »[5] du Christ. A ce titre, ils ont la capacité et la responsabilité de s’associer à la prière de Christ lui-même et de prier au nom de l’Eglise qui les délègue à l’exercice de cette charge au profit de l’humanité entière.

Une fonction d’actualisation. La prière universelle conclut la liturgie de la Parole : cette dernière a été entendue dans les lectures, chantée dans le psaume, assimilée dans l’homélie. Les fidèles sont appelés à rendre, à traduire en prière le bénéfice ainsi reçu. « Nourri par la Parole, le peuple supplie avec la prière universelle pour les besoins de l’Eglise et pour le salut du monde entier » (PGMR, N°33).

Une fonction d’annonce. La Parole de Dieu a au sein de l’assemblée une fonction d’annonce prophétique. Il ne s’agit pas tant de se lancer dans un examen de conscience de mauvais aloi ou dans une analyse des problèmes du monde que de formuler une prière qui transforme déjà les réalités concrètes de la vie.

Une fonction universelle. La prière des fidèles a pour fonction de leur faire saisir qu’ils ne prient pas d’abord pour eux ! La prière de cette assemblée-ci, limitée à ce lieu et à ce temps, s’élargit à la mesure de l’Eglise universelle. Toute célébration eucharistique est la prière de l’Eglise universelle pour l’Eglise universelle. C’est pourquoi une communauté peut se dire « catholique » : elle ne célèbre pas sa liturgie mais la liturgie de l’Eglise, elle ne se célèbre pas mais célèbre son Seigneur.

Une fonction à exercer. Concrètement, parce que revenant aux fidèles, la prière commune est à faire, à rédiger ! De même elle n’a pas lieu sans cette préparation et sans la réalisation que vont en faire le prêtre, le diacre et les fidèles. Cependant, dans l’acte liturgique, elle n’est plus leur prière, mais celle de Celui qui est « toujours vivant pour intercéder en faveur des hommes » (Hébreux 7, 25).

3. Pour la mise en œuvre et la mise en musique.
Après avoir distingué cinq grandes fonctions de la prière universelle, il nous est d’autant plus aisé d’aborder maintenant des questions précises de mise en œuvre.

Le lieu. La PGMR prévoit que la prière universelle se fasse « de l’ambon ou d’un autre lieu approprié » (N° 132). Pour manifester le lien avec la Parole entendue, l’ambon apparaît néanmoins comme l’endroit le plus approprié… à moins que le prêtre n’ouvre et ne conclut la prière depuis l’ambon, comme le Missel lui en laisse la possibilité. Dans ce dernier cas, rare, on fera les intentions depuis un autre endroit.

Les intervenants. C’est toujours le prêtre qui introduit et conclut (PGMR N°47). Les intentions sont, quant à elles, dévolues « au diacre, au chantre, ou à un autre » ! L’assemblée entière participe « soit par une invocation commune […], soit par une prière silencieuse ».

Le nombre d’intentions. La constitution conciliaire (SL 53) aussi bien que la PGMR proposent un schéma quadripartite : 1. pour les besoins de l’Eglise, 2. pour les dirigeants des affaires publiques et le salut du monde entier, 3. pour tous ceux qui sont accablés par une difficulté, 4. pour la communauté locale. On aura tout intérêt à se tenir à cette répartition qui évite des longueurs rapidement insupportables !

La rédaction des intentions. On se souviendra en premier lieu de la place de la prière universelle à l’intérieur de l’ensemble de la célébration : elle conclut la liturgie de la Parole et mène à la liturgie eucharistique. Les intentions seront donc à la fois imprégnées des lectures bibliques et largement ouvertes à l’universalité de la prière.

L’équilibre dans l’alternance entre l’intention et le refrain. Souvent, l’intention est trop longue et parfois aussi le refrain (surtout quand on choisit un refrain de cantique). L’ensemble devient vite trop pesant. S’il y a trop de choses dans l’intention, on ne sait plus pour quoi on prie quand arrive le refrain. Il convient de trouver un rythme harmonieux.

L’accompagnement instrumental pour les intentions ne semble habituellement pas opportun. Cette solution demeurera exceptionnelle, pour favoriser la méditation et conduire au silence. Il vaudrait mieux chanter les intentions ! à condition de les avoir bâties en conséquence et d’avoir une heureuse formule de cantillation…

Le silence. Il est bon qu’il y ait, même quand on utilise un refrain en réponse aux intentions, un bref espace de silence propice à la médiation. Mais si le silence clôt l’intention, comment redémarrer ensemble pour le refrain ? On peut imaginer que la formule du genre « Ensemble, prions » soit dite ou, mieux encore, chantée selon une formule mélodique qui permette un retour naturel au refrain après ce temps silence[6]. Une autre solution consisterait à bâtir les intercessions sur le modèle du Vendredi-saint : d’abord une invitation (ex. « Pour la sainte Eglise…), puis un temps de silence et enfin l’intercession («afin qu’elle… ») qui se terminerait par une formule à chaque fois identique (dite ou chantée comme ci-avant : ex. « Ensemble, prions »).

Puisse la « prière universelle » devenir pour nos communautés un moment intense, nourri de la Parole du Dieu vivant et déjà tourné vers l’action de grâce eucharistique ! Elle nous introduira pleinement au mystère !

[1] Justin, Apologies, I, 65 et 67, 3-5.
[2] « Seigneur, écoute et prends pitié ! » Ce formulaire sera traduit, adpaté et mis en musique par Joseph Gelineau (cf. les partitions à découvrir dans ce numéro).
[3] Isidore de Seville, De ecclesiasticis officiis, I, 15 ; PL 83, 752.
[4] Nous suivons en cela l’heureuse classification proposée dans CNPL, Du bon usage de la liturgie, Guides « Célébrer, Cerf, 1999.
[5] Liturgie du baptême, oraison précédant l’onction avec le Chrême.
[6] C’est une exphonèse. La solution est souvent préconisée par le P. Gélineau.

Homélie du Dimanche des Rameaux et de la Passion (C) - 1er avril 2007


« C’était le vendredi, et déjà brillaient les lumières du sabbat ». Lc, 23.

Cette précision, que l’évangéliste Luc croit bon de faire figurer à la fin du récit de la Passion que nous entendions, n’est au demeurant qu’une indication supplémentaire de la temporalité de ces évènements, qu’un détail de l’histoire. Pourtant, en indiquant de la sorte qu’au moment où l’on dépose le corps de Jésus au tombeau, le sabbat commence, Luc en dit beaucoup plus. Cette précision peut, je crois, guider notre manière d’entrer dans le Semaine sainte, nous aider à la vivre dans la foi.
« C’était le vendredi, et déjà brillaient les lumières du sabbat ».

I.- La mort de Jésus en lien avec le temps de Dieu.

Pour entrer rituellement dans le sabbat, les juifs, de nos jours encore, allument un cierge au moment où l’on ne parvient plus à distinguer un fil blanc d’un fil noir, c’est-à-dire au moment où la nuit survient. Ce moment hebdomadaire est en lien avec l’Ecriture, et plus précisément avec le récit de la Création dans le livre de la Genèse. Rappelez-vous. Après chaque jour, nous l’entendrons d’ailleurs à nouveau dans la vigile pascale, le récit est ponctué par ces phrases : « Dieu vit que cela était bon. Il y eut un soir, il y eut un matin », au point même, qu’au sixième jour – le vendredi –, jour de la création des animaux terrestres, ainsi que celui de l’homme et de la femme, Dieu estima que « cela était très bon ».
C’est précisément un même vendredi que Dieu créée sur la croix l’Homme nouveau. Par la mort de Jésus, l’humanité vouée à la mort à cause de son péché, est à nouveau tournée vers la vie. Le septième jour, Dieu se repose de l’œuvre qu’il avait faite. Ce soir-là, Dieu pouvait bien se reposer, puisque son Fils venait déjà, en consentant librement à la mort par amour pour le monde, de sauver la création. La voie de sa Résurrection était déjà tracée.

II. - Les lumières ou l’annonce de la Pâque.

Ce vendredi soir, encore, ne marquait pas un sabbat ordinaire ; c’était celui de la Pâque. Jésus et ses disciples avaient pris ensemble le repas pascal avant de gagner le jardin de Gethsémani au chant des psaumes prescrits par la Loi ce jour-là. Les Juifs étaient donc appelés à commémorer l’arrachement à la servitude, la libération de l’oppression de Pharaon. Le peuple, guidé par Moïse, sortait d’Egypte en direction de la Terre promise.
Alors que les lumières brillent déjà dans les demeures de Jérusalem et de la Palestine ce soir-là, les disciples de Jésus n’espèrent plus la libération tant attendue. Les espoirs portés par leur Maître semblent réduits à néant. « Tous ses amis se tenaient [même] à distance ». La nuit du désespoir est à son comble. Mais n’est-il pas permis de voir dans ces lumières, qui annoncent le sabbat, celles qui symbolisent, au cœur de la nuit noire, la victoire du Christ ?

III.- Relire les évènements avec les yeux de la foi.

Les évangélistes n’ont pas écrit les textes du Nouveau Testament indépendamment de l’expérience de foi qui a été la leur. En restituant la vie de Jésus, ils ont témoigné de leur foi. En relatant la mort de Jésus, ils savent que ce même Jésus ressuscitera. Ils orientent notre regard vers le matin de Pâques. « C’était le vendredi, et déjà brillaient les lumières du sabbat ».
Non seulement le jour du repos de Dieu se profile, mais bien plus celui du début d’une nouvelle semaine. Semaine incomparable à toutes les autres, semaine « où Dieu fait toutes choses nouvelles », semaine de la recréation de l’humanité, semaine inaugurée par la Pâque de Jésus, par son passage de la mort à la vie. Cette semaine-là ouvre une ère nouvelle pour nous. Désormais rien ne sera plus comme avant.

Alors, chers amis, ayons à cœur de vivre cette semaine comme un temps béni qui nous ouvre vers la nouveauté de Dieu ! Que notre participation aux célébrations nous obtienne de passer de la mort à la vie avec Jésus !

AMEN.

+ Michel Steinmetz.

samedi 17 mars 2007

Homélie du 4ème dimanche de Carême "Laetare" (C) - 18 mars 2007


« Au nom du Christ, nous vous le demandons,
laissez-vous réconcilier avec Dieu.»
2 Corinthiens 5.

Si ce quatrième dimanche de Carême nous invite à la joie, joie d’être arrivé à mi-parcours et de nous approcher de la célébration des fêtes pascales – les ornements roses de ce jour en témoignent –, joie aussi devant l’accueil et le retour en grâce réservé au fils prodigue par son père, ce dimanche nous fait méditer la grandeur du pardon. Le retour du fils de l’évangile aurait-elle seulement été possible sans le pardon préalable du père ?
Le pardon… chose belle, mais ô combien difficile. Valeur galvaudée, parfois. Valeur rabâchée, quand nous ne prêtons même plus attention aux paroles du Notre Père : « pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés ». Et nous savons bien notre difficulté à pardonner. Si nous avons beaucoup souffert du fait de la méchanceté, de la haine d’autres personnes, nous avons d’autant plus de mal à les considérer encore comme notre prochain justement. Combien de fois ne faut-il pas entendre : « Pardonner, ah non ! Cela m’est impossible ! ». Et cela, dans bien des cas, se comprend à vue humaine.
Pourtant, aujourd’hui, saint Paul veut nous faire déplacer notre regard. Laissez-vous réconcilier, c’est-à-dire, acceptez dans cette œuvre de pardon de ne pas être vous-mêmes les sujets, acceptez d’être pris en charge, d’être comme enlacés à l’image du père envers son fils.

I.- Croire que le pardon est possible.

Pour vivre de la grâce du pardon, il faut déjà, n’est-ce pas, croire qu’il est possible. Entendez qu’on peut effectivement le vivre et en vivre. Les fils d’Israël ont peut-être trouvé rude l’absence de manne le premier matin de leur installation en Terre promise. C’est tout du moins ce que laisse sous-entendre l’insistance du Livre de Josué sur ce point. Comme toujours, il y a deux manières de voir : la confiance ou le soupçon, comme si la foi était une paire de lunettes, en somme. Suivant la paire que vous décidez de chausser, votre regard change. Bien sûr, le regard de Josué était celui de la foi : si la manne cessait de tomber, c’est qu’il y avait d’autres solutions pour ne pas mourir de faim. Dieu n’aurait pas mené son peuple aussi loin pour l’abandonner de la sorte. A partir de ce jour-là, la manne cessa de tomber, puisqu’ils mangeaient les fruits de la terre (Jos. 5, 12).
Il en va de même, chers amis, du pardon. Soit nous croyons que nous ne pouvons vivre sans, soit nous croyons qu’il est impossible. Cependant, nous est-il permis de croire que Dieu aurait été jusque là, jusqu’à nous donner son propre Fils, pour en rester là ? Nous est-il permis de croire que de nombreuses paraboles évangéliques, comme celle du fils prodigue, ne seraient qu’une belle histoire tout juste bonne à faire rêver les faibles ?

II.- Se laisser pardonner, d’abord.

Pour envisager comme le pardon comme un possible, il faut, je crois, en faire l’expérience. Comment pardonner si nous n’avons jamais été pardonnés ? Scrutez votre existence. Revenez à ces moments fondateurs où vous-mêmes avez été pardonnés, soit relevés de vos fautes dans le sacrement de pénitence, soit remis en route par un proche, un ami à qui vous aviez fait du tort. A ce moment-là, on se sent exister : on est considéré par-delà notre faute, fût-elle énorme. Bien sûr, le mal que nous avons pu commettre n’est pas effacé. Objectivement il demeure comme la cicatrice qui, sur la peau, jamais ne disparaît. Mais, quand bien même la mémoire de cette souffrance demeure, elle n’est plus un obstacle à la relation, elle l’enrichit parfois.
Quoi qu’il en soit de notre vie, il est une expérience de pardon que, tous ici, nous avons déjà faite, c’est celle du pardon en Dieu. Pardon de Dieu envers nous au jour de notre baptême : par-delà le péché originel, Dieu décidait de faire de nous ses fils et ses filles bien-aimés. Pardon dans l’acte de foi : par-delà notre faiblesse, nous en appelons à Dieu : « pardonne-nous nos offenses », car nous savons qu’il est, Lui, « tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour ». Regard de la foi, donc, qui s’installe en nous à la manière du psalmiste qui sait de source sûre que Dieu entend nos cris, même silencieux. Un pauvre crie, le Seigneur entend : il le sauve de toutes ses angoisses (Ps. 33, 7). Encore faut-il accepter de nous en remettre à lui. Et Dieu prend alors les traits du père de la parabole qui se résout à attendre patiemment le retour de l’enfant prodigue.

III.- Y trouver la force pour pardonner à notre tour.

Quand Paul lance ce vibrant appel : « Au nom du Christ, nous nous le demandons, laissez-vous réconcilier avec Dieu ! », il affirme deux choses. Il prend en compte la difficulté à pardonner, car ce n’est jamais évident, pour personne. Il sait que ce n’est possible qu’en trouvant en Dieu la force nécessaire pour le faire. Ainsi, il s’agit d’accueillir cette faculté à nous donnée. « Tout cela vient de Dieu : il nous a réconciliés avec lui par le Christ, et il nous a donné pour ministère de travailler à cette réconciliation. […] Nous sommes donc les ambassadeurs du Christ. »
A la valeur à vivre – de manière privée, pour faire court –, se substitue celle d’une responsabilité face au monde. Parce que nous sommes réconciliés en Dieu, pardonnés par Lui, parce que nous sommes les bénéficiaires de son amour, nous ne pouvons en rester là. Nous devons à la fois toujours grandir dans l’amitié de Dieu, en nous laissant relever de nos fautes, et donc en nous acceptant comme des êtres aimés, et en témoigner en pardonnant nous-mêmes « à ceux qui nous ont offensés ».

Apprenons à nous réjouir, chers amis, à la faveur de ce dimanche de la joie, de notre propre retour en grâce et du retour en grâce de tous les fils prodigues ! « Il fallait bien festoyer et se réjouir : ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est vivant ».

AMEN.

+ Michel Steinmetz.

samedi 10 mars 2007

Homélie du 3ème dimanche de Carême (C) - 11 mars 2007


« Cessez de récriminer contre Dieu…». 1 Corinthiens 10.

Où donc est Dieu quand nous souffrons ? C’est la question qui vient spontanément aux lèvres de beaucoup d’entre nous dans les heures difficiles. Parfois même on entend dire : « S’il y avait un bon Dieu, ces choses-là n’arriveraient pas ! ». Entendez par là : Dieu n’est pas si bon que cela… Ces choses-là, c’est-à-dire toute cette souffrance, toutes ces horreurs, tout ce malheur, toute cette douleur qui nous étreint, nous submergent par moments. C’est un fait que nous ne pouvons passer sous silence, comme le sentiment de l’absence de Dieu, alors que, du fond du cœur, nous en appelons à Lui, nous implorons son aide. Reste-t-il sourd à notre plainte ?
« Cessez de récriminez contre Dieu », dit saint Paul. Acceptons, par delà le malheur qui peut-être nous atteint, de relire, comme les Anciens, les signes de la présence de Dieu. Confrontons-les ensuite au réel auquel nous sommes confrontés. Tirons-en une leçon pour aujourd’hui.

I.- Relire les signes de la présence de Dieu.

On sait comment Moïse fut contraint de s’exiler dans le désert du Sinaï pour échapper aux représailles du Pharaon. Emu par les mauvais traitements infligés aux Hébreux, il avait tué un Egyptien, mais ses frères de race ne lui reconnaissent pour autant aucun droit à se mêler de leurs affaires. Le voilà donc berger dans le désert, mais cette disgrâce momentanée devait être pour lui l’occasion de sa rencontre décisive avec Dieu dans un étrange buisson en feu. Moïse s’approche, s’étonne. Pourquoi le buisson brûle-t-il sans se consumer ? Alors Dieu se révèle. « J’ai vu la misère de mon peuple en Egypte et je l’ai entendu crier sous les coups de ses chefs de corvée. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer… »
La première découverte que fait Moïse au Sinaï, c’est donc cette présence intense de Dieu au cœur de la détresse des hommes. Il est le compatissant, le miséricordieux, c’est-à-dire, littéralement, « cœur ouvert à nos misères », cœur qui prend parti pour ceux qui sont dans la misère. Moïse, dont le premier réflexe était de se voiler la face par crainte, comprend alors qu’il n’y a pas lieu d’avoir peur. Bien au contraire, il aura retenu pour toujours cette révélation surprenante, inattendue, et c’est là qu’il a puisé l’incroyable énergie qui a fait de lui, l’exilé, le rejeté de tous, le meneur infatigable de son peuple et son libérateur. Le secret de sa force ? Il sait au plus profond de Lui que Dieu mène l’entreprise. Il l’a vu à l’œuvre. Il ne se voile plus la face devant cette Présence offerte à ceux qui croient en Dieu.

II.- Le réel auquel nous avons à faire face.

Si nous pouvons être assurés de cette miséricorde de Dieu, de son intérêt pour nos cris de détresse, nos questions n’en sont pas pour autant réglées. Si le mal ne nous atteint pas directement, nous en sommes les spectateurs quotidiens et désabusés. Comme les gens qui viennent trouver Jésus, nous nous émouvons des difficultés de tel couple, de la maladie de tel proche, de l’injustice de telle catastrophe qui frappe des innocents. Notre désabusement se transforme en colère. Pourquoi ? Pourquoi Dieu permet-il donc cela, alors que nous l’invoquons comme « tout-puissant » et « plein d’amour » ?
Je n’aurai pas la prétention d’apporter quelque réponse que ce soit à ce que je désigne volontiers comme le mystère de la vie, le mystère de ce monde, et je me garderai bien même de toute ébauche de réponse, car elle serait forcément, fatalement simpliste.
Je reprendrai bien plus volontiers les paroles de Paul, un peu agacé mais toujours déterminé : « Cessez de récriminer contre Dieu ! ». Sous-entendu, faites plutôt confiance à celui qui vous aime infiniment. Faites-lui confiance aveuglément puisque, pour un temps, vos yeux embrumés ne sont pas capables de voir clairement se déployer les trésors de son amour pour vous ! Car notre ignorance, aussi insupportable soit-elle, ne nous donne pas le droit de contester. Comme les disciples, devant le drame de la tour de Siloé, si nous réclamons des explications, nous n’en trouverons pas. Mais pour nous se trace le chemin de la confiance. Dieu nous accompagne, quoi qu’il arrive.

III.- Une leçon pour aujourd’hui.

Ne pas récriminer, certes. Mais les paroles de Jésus dans l’évangile prêtent néanmoins à confusion, tant elles sont abruptes. Les Galiléens victimes du massacre perpétré alors qu’ils offraient un sacrifice, les victimes de l’effondrement de la tour de Siloé n’avaient pas plus péché que d’autres. Pourtant, brutalement et sans justification possible si ce n’est le hasard ou la volonté explicite de Dieu, ils sont morts. Jésus sait bien ce que pensent ses interlocuteurs et nous le savons aussi parce que nous réagissons de la même manière.
Alors Jésus entend tirer la leçon de ces deux évènements tragiques. Suivant la conception courante de la rétribution temporelle, ses auditeurs y voient des châtiments divins sur des pécheurs ; et le fait qu’ils ont été épargnés eux-mêmes les rassure sur leur propre justice. Rappelons-nous à ce propos que, pour un contemporain de Jésus encore, une vie longue est le signe d’une vie juste et bénie de Dieu. Jésus rejette cette vue simpliste ; il montre dans ces malheurs, qu’il ne prétend pas expliquer, un avertissement adressé à tous : tous sont pécheurs, tous ont à se convertir pour être prêts quand l’heure viendra.

Cessez de récriminez contre Dieu ! Dépensez plutôt votre énergie à discerner sa présence, à vous en nourrir, à vous en réjouir ! Dépensez plutôt votre énergie à mettre votre cœur en harmonie avec le cœur de Dieu ! Quand le fardeau vous fait ployer sur le chemin de votre existence, souvenez-vous de cette histoire qui pourrait sortir tout droit d’un psaume : un homme n’en pouvait plus des difficultés qu’il lui fallait porter, alors il s’en prit violemment à Dieu. « Où es-tu alors que j’ai besoin de toi, que je crie vers toi ? ». Et Dieu l’invita à se retourner. L’homme, ne voyant dans le sable que les traces de pas d’un seul homme, renchérit : « Tu vois bien : j’étais seul ! ». Et Dieu répondit : « N’as-tu jamais pensé qu’à ce moment-là, je te portais ? Ces traces ne sont pas les tiennes mais les miennes »…

AMEN.

+ Michel Steinmetz.